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qu’il n’y ait une conspiration contre la famille royale ; chacun se figure les plus grands périls, les plus grands crimes et les plus médités.

Heureusement la blessure du roi était légère ; mais le trouble public était considérable, et les craintes, les défiances, les intrigues, se multipliaient à la cour. Le grand prévôt de l’hôtel, à qui appartenait la connaissance du crime commis dans le palais du roi, s’empara d’abord du parricide et commença les procédures, comme il s’était pratiqué à Saint-Cloud dans l’assassinat de Henri III. Un exempt des gardes de la prévôté ayant obtenu un peu de confiance, ou apparente ou vraie, dans l’esprit aliéné de ce misérable, l’engagea à oser dicter de sa prison une lettre au roi même[1]. Damiens écrire au roi ! un assassin écrire à celui qu’il avait assassiné !

Sa lettre est insensée, et conforme à l’abjection de son état, mais elle découvre l’origine de sa fureur : on y voit que les plaintes du public contre l’archevêque avaient dérangé le cerveau du criminel, et l’avaient excité à son attentat. Il paraissait, par les noms des membres du parlement cités dans sa lettre, qu’il les connaissait, ayant servi un de leurs confrères ; mais il eût été absurde de supposer qu’ils lui eussent expliqué leurs sentiments ; encore moins qu’ils lui eussent jamais dit ou fait dire un mot qui pût l’encourager au crime,

  1. SIRE,

    Je suis bien fâché d’avoir eu le malheur de vous approcher ; mais si vous ne prenez pas le parti de votre peuple, avant qu’il soit quelques années d’ici, vous et monsieur le Dauphin, et quelques autres, périront ; il serait fâcheux qu’un aussi bon prince, par la trop grande bonté qu’il a pour les ecclésiastiques, dont il accorde toute sa confiance, ne soit pas sûr de sa vie ; et si vous n’avez pas la bonté d’y remédier sous peu de temps, il arrivera de très-grands malheurs, votre royaume n’étant pas en sûreté : par malheur pour vous que vos sujets vous ont donné leur démission, l’affaire ne provenant que de leur part. Et si vous n’avez pas la bonté, pour votre peuple, d’ordonner qu’on leur donne les sacrements à l’article de la mort, les ayant refusés depuis votre lit de justice, dont le Châtelet a fait vendre les meubles du prêtre qui s’est sauvé ; je vous réitère que votre vie n’est pas en sûreté, sur l’avis qui est très-vrai, que je prends la liberté de vous informer par l’officier porteur de la présente, auquel j’ai mis toute ma confiance. L’archevêque de Paris est la cause de tout le trouble, par les sacrements qu’il a fait refuser. Après le crime cruel que je viens de commettre contre votre personne sacrée, l’aveu sincère que je prends la liberté de vous faire me fait espérer la clémence des bontés de Votre Majesté.

    Signé : Damiens.

    Cette lettre se trouve page 69 du Procès de Damiens, donné au public par le greffier criminel du parlement, avec la permission de ses supérieurs.

    Au dos de ladite lettre est écrit : Paraphé, ne varietur, suivant et au désir de