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devait compte qu’à Dieu seul, son temporel fut saisi ; les princes du sang et les pairs furent invités à venir prendre séance au parlement.

La querelle alors pouvait devenir sérieuse ; on commença à craindre les temps de la Fronde et de la Ligue. Le roi défendit aux princes et aux pairs d’aller opiner dans le parlement de Paris sur des affaires dont il attribuait la connaissance à son conseil privé. (Janvier 1753) L’archevêque de Paris eut même le crédit d’obtenir un arrêt du conseil pour dissourdre la petite communauté de Sainte-Agathe, où les filles avaient si mauvaise opinion de la bulle Unigenitus.

Tout Paris murmura. Ces petits troubles s’étendirent dans plus d’une ville du royaume. Les mêmes scandales, les mêmes refus de sacrements partageaient la ville d’Orléans ; le parlement rendait les mêmes arrêts pour Orléans que pour Paris : le schisme allait se former. Un curé de Rosainvilliers[1], diocèse d’Amiens, s’avisa de dire un jour à son prône « que ceux qui étaient jansénistes eussent à sortir de l’église, et qu’il serait le premier à tremper ses mains dans leur sang ». Il eut l’audace de désigner quelques-uns de ses paroissiens à qui les plus fervents constitutionnaires jetèrent des pierres pendant la procession, sans que les lapidés et les lapidants eussent la moindre connaissance de ce que c’est que la bulle et le jansénisme.

Une telle violence pouvait être punie de mort. Le parlement de Paris, dans le ressort duquel est Amiens, se contenta de bannir à perpétuité ce prêtre factieux et sanguinaire, et le roi approuva cet arrêt, qui ne portait pas sur un délit purement spirituel, mais sur le crime d’un séditieux perturbateur du repos public.

Dans ces troubles, Louis XV était comme un père occupé de séparer ses enfants qui se battent[2]. Il défendait les coups et les injures ; il réprimandait les uns, il exhortait les autres ; il ordonnait le silence, en défendant aux parlements de juger du spirituel, recommandant aux évêques la circonspection, regardant la

  1. Ce curé se nommait Boutord ; voyez l’Histoire du Parlement, chapitre lxv.
  2. « Entre nous, écrit encore Voltaire à d’Argental, y aurait-il rien de plus tyrannique et de plus absurde que d’oser condamner un homme pour avoir représenté le roi comme un père qui veut mettre la paix entre ses enfants ?… Je n’ai d’ailleurs rien à craindre du parlement de Paris, et j’ai beaucoup à m’en plaindre. Il ne peut rien ni sur mon bien ni sur ma personne. Ma réponse est toute prête, et la voici : Il y avait un roi de la Chine qui dit un jour à l’historien de l’État : « Quoi ! vous voulez écrire mes fautes ? — Sire, répondit le griffonnier chinois, mon devoir m’oblige d’aller écrire tout à l’heure le reproche que vous venez de me faire. »