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à Pondichéry un butin que vous auriez dû faire arrêter, vu son énorme quantité. »

J’ai le journal d’un officier général, que j’ai déjà cité[1]. L’auteur n’est pas l’ami du comte de Lally, il s’en faut beaucoup ; son témoignage n’en est que plus recevable quand il atteste les mêmes griefs qui faisaient le désespoir de Lally. Voici notamment comme il s’exprime :

« Le pillage immense que les troupes avaient fait dans la ville Noire avait mis parmi elles l’abondance. De grands magasins de liqueurs fortes y entretenaient l’ivrognerie et tous les maux dont elle est le germe. C’est une situation qu’il faut avoir vue. Les travaux, les gardes de la tranchée, étaient faits par des hommes ivres. Le régiment de Lorraine fui seul exempt de cette contagion ; mais les autres corps s’y distinguèrent. Le régiment de Lally se surpassa. De là les scènes les plus honteuses et les plus destructives de la subordination et de la discipline. On a vu des officiers se colleter avec des soldats, et mille autres actions infâmes dont le détail, renfermé dans les bornes de la vérité la plus exacte, paraîtrait une exagération monstrueuse. »

(27 décembre 1758) Le comte de Lally écrivait avec encore plus de désespoir cette lettre funeste : « L’enfer m’a vomi dans ce pays d’iniquités, et j’attends comme Jonas la baleine qui me recevra dans son ventre[2]. »

Dans un tel désordre rien ne pouvait réussir. On leva le siège après avoir perdu une partie de l’armée (18 février 1759). Les autres entreprises furent encore plus malheureuses sur terre et sur mer. Les troupes se révoltent, on les apaise à peine[3]. Le général les mène dans la province d’Arcate pour reprendre la forteresse de Vandavachi ; les Anglais s’en étaient emparés après deux tentatives inutiles, dans l’une desquelles ils avaient été complètement battus par le chevalier de Geogeghan. Lally les osa attaquer avec des forces inférieures[4] : il les eût vaincus s’il eût été secondé ; mais il ne remporta de cette expédition que l’honneur d’avoir donné une nouvelle preuve de ce courage opiniâtre qui faisait son caractère.

Après bien d’autres pertes il fallut enfin se retirer dans Pon-

  1. À la page précédente.
  2. Par ses emportements et son arrogance, Lally tua tout esprit public. Les particuliers, loin de lui venir en aide dans sa détresse, riaient de ses embarras et applaudissaient à ses revers. (G. A.)
  3. La fin de cet alinéa a été corrigée d’après la lettre de Bourcet dont je parle dans mon Avertissement.
  4. À Vandavachi. (G. A.)