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les effets. L’Autriche augmentait ses troupes, celles d’Élisabeth étaient prêtes ; mais le roi de Pologne, électeur de Saxe, était hors d’état de rien entreprendre : les finances de son électorat étaient épuisées ; nulle place considérable ne pouvait empêcher les Prussiens de marcher à Dresde. Autant l’ordre et l’économie rendaient le Brandebourg formidable, autant la dissipation avait affaibli la Saxe. Le conseil saxon du roi de Pologne hésitait beaucoup d’entrer dans des mesures qui pouvaient lui être funestes.

Le roi de Prusse n’hésita pas, et, dès l’année 1755, il prit seul, et sans consulter personne, la résolution de prévenir les puissances dont il avait de si grands ombrages. (16 janvier 1756) Il se ligua d’abord avec le roi d’Angleterre, électeur d’Hanovre, sur le refus que fit la France de s’unir à lui, s’assura du landgrave de Hesse et de la maison de Brunsvick, et renonça ainsi à l’alliance de la France.

Ce fut alors que l’ancienne inimitié entre les maisons de France et d’Autriche, fomentée depuis Charles-Quint et François Ier, fit place à une amitié qui parut sincèrement établie, et qui étonna toutes les nations. Le roi de France, qui avait fait une guerre si cruelle à Marie-Thérèse, devint son allié, et le roi de Prusse, qui avait été allié de la France, devint son ennemi. La France et l’Autriche s’unirent après trois cents ans d’une discorde toujours sanglante. Ce que n’avaient pu tant de traités de paix, tant de mariages, un mécontentement reçu d’un électeur, et l’animosité de quelques personnes alors toutes-puissantes[1] que le roi de Prusse avait blessées par des plaisanteries le fit en un moment. Le parlement d’Angleterre appela cette union monstrueuse ; mais étant nécessaire, elle était très-naturelle. On pouvait même espérer que ces deux maisons puissantes réunies, secondées de la Russie, de la Suède et de plusieurs États de l’empire, pourraient contenir le reste de l’Europe.

(Mai 1756) Le traité fut signé à Versailles entre Louis XV et Marie-Thérèse. L’abbé de Bernis, depuis cardinal, eut seul l’honneur de ce fameux traité, qui détruisait tout l’édifice du cardinal de Richelieu et qui semblait en élever un autre plus haut et plus vaste. Il fut bientôt après ministre d’État, et presque aussitôt disgracié. On ne voit que des révolutions dans les affaires publiques et particulières.

Le roi de Prusse, menacé de tous côtés, n’en fut que plus prompt à se mettre en campagne. Il fait marcher ses troupes dans

  1. L’abbé, depuis cardinal de Bernis, et Mme  de Pompadour.