Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de vingt millions de rance. De l’argent de cette prise on frappa quelques espèces, sur lesquelles on voyait pour légende : Finistère, monument flatteur à la fois et encourageant pour la nation, et imitation glorieuse de l’usage qu’avaient les Romains de graver ainsi sur la monnaie courante, comme sur les médailles, les plus grands événements de leur empire. Cette victoire était plus heureuse et plus utile qu’étonnante[1]. Les amiraux Anson et Warren avaient combattu avec dix-sept vaisseaux de guerre contre six vaisseaux de roi, dont le meilleur ne valait pas, pour la construction, le moindre navire de la flotte anglaise.

Ce qu’il y avait de surprenant, c’est que le marquis de La Jonquière, chef de cette escadre, eût soutenu longtemps le combat, et donné encore à un convoi qu’il amenait de la Martinique le temps d’échapper. Le capitaine du vaisseau le Windsor s’exprimait ainsi dans sa lettre sur cette bataille : « Je n’ai jamais vu une meilleure conduite que celle du commodore français ; et pour dire la vérité, tous les officiers de cette nation ont montré un grand courage ; aucun d’eux ne s’est rendu que quand il leur a été absolument impossible de manœuvrer. »

Il ne restait plus aux Français, sur ces mers, que sept vaisseaux de guerre pour escorter les flottes marchandes aux îles de l’Amérique sous le commandement de M. de L’Estanduère[2]. Ils furent rencontrés par quatorze vaisseaux anglais. (14 octobre 1747) On se battit, comme à Finistère, avec le même courage et la même fortune. Le nombre l’emporta, et l’amiral Hawke amena dans la Tamise six vaisseaux des sept qu’il avait combattus[3].

La France n’avait plus alors qu’un seul vaisseau de guerre. On connut dans toute son étendue la faute du cardinal de Fleury, d’avoir négligé la mer ; cette faute est difficile à réparer. La marine est un art, et un grand art. On a vu quelquefois de bonnes troupes de terre formées en deux ou trois années par des généraux habiles et appliqués ; mais il faut un long temps pour se procurer une marine redoutable.

  1. C’est aussi l’opinion des historiens anglais.
  2. Voyez, dans la Correspondance générale, la lettre à Mme Dupuy, du 23 décembre 1769.
  3. L’Estanduère avait huit vaisseaux, et en sauva deux. (G. A.)