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monté sur l’échafaud, sembla témoigner du repentir. Balmerino y porta une intrépidité inébranlable. Il voulut mourir dans le même habit uniforme sous lequel il avait combattu. Le gouverneur de la tour ayant crié selon l’usage : Vive le roi George ! Balmerino répondit hautement : Vive le roi Jacques et son digne fils ! Il brava la mort comme il avait bravé ses juges.

On voyait presque tous les jours des exécutions ; on remplissait les prisons d’accusés. Un secrétaire du prince Édouard, nommé Murray, racheta sa vie en découvrant au gouvernement des secrets qui firent connaître au roi le danger qu’il avait couru[1]. Il fit voir qu’il y avait en effet dans Londres et dans les provinces un parti caché, et que ce parti avait fourni d’assez grandes sommes d’argent. Mais, soit que ces aveux ne fussent pas assez circonstanciés, soit plutôt que le gouvernement craignît d’irriter la nation par des recherches odieuses, on se contenta de poursuivre ceux qui avaient une part évidente à la rébellion. Dix furent exécutés à York, dix à Carlisle, quarante-sept à Londres : au mois de novembre on fit tirer au sort des soldats et des bas officiers, dont le vingtième subit la mort et le reste fut transporté dans les colonies. On fit mourir encore au même mois soixante et dix personnes à Penrith, à Brumpton, et à York, dix à Carlisle, neuf à Londres. Un prêtre anglican, qui avait eu l’imprudence de demander au prince Édouard l’évêché de Carlisle tandis que ce prince était en possession de cette ville, y fut mené à la potence en habits pontificaux ; il harangua fortement le peuple en faveur de la famille du roi Jacques, et il pria Dieu pour tous ceux qui périssaient comme lui dans cette querelle.

Celui dont le sort parut le plus à plaindre fut le lord Derwentwater. Son frère aîné avait eu la tête tranchée à Londres, en 1715, pour avoir combattu dans la même cause ; ce fut lui qui voulut que son fils, encore enfant, montât sur l’échafaud, et qui lui dit : « Soyez couvert de mon sang, et apprenez à mourir pour vos rois. » Son frère puîné, qui, s’étant échappé alors, alla servir en France, avait été enveloppé dans la condamnation de son frère aîné. Il repassa en Angleterre dès qu’il sut qu’il pouvait être utile au prince Édouard ; mais le vaisseau sur lequel il s’était embarqué avec son fils et plusieurs officiers, des armes et de l’argent,

  1. Ce John Murray, de Broughton, surnommé le Judas des Jacobites, vendit son parti moyennant deux cents livres sterling et quatre-vingt mille livres de rente sur les biens confisqués. Dans la phrase suivante Voltaire veut parler d’une liste livrée par lui de quatre mille quatre cents souscripteurs jacobites. (G. A.)