Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont on leur battit les joues, et on mit leurs membres en quartiers. Ce supplice est un reste d’une ancienne barbarie. On arrachait le cœur autrefois aux criminels condamnés, quand ils respiraient encore. On ne fait aujourd’hui cette exécution que quand ils sont étranglés. Leur mort est moins cruelle, et l’appareil sanguinaire qu’on y ajoute sert à effrayer la multitude. Il n’y eut aucun d’eux qui ne protestât, avant de mourir, qu’il périssait pour une juste cause, et qui n’excitât le peuple à combattre pour elle. Deux jours après, trois pairs écossais furent condamnés à perdre la tête.

On sait qu’en Angleterre les lois ne considèrent comme nobles que les lords, c’est-à-dire les pairs. Ils sont jugés, pour crime de haute trahison, d’une autre manière que le reste de la nation. On choisit, pour présider à leur jugement, un pair à qui on donne le titre de grand steward du royaume. Ce nom répond à peu près à celui de grand sénéchal. Les pairs de la Grande-Bretagne reçoivent alors ses ordres. Il les convoque dans la grande salle de Westminster par des lettres scellées de son sceau, et écrites en latin. Il faut qu’il ait au moins douze pairs avec lui pour prononcer l’arrêt. Les séances se tiennent avec le plus grand appareil : il s’assied sous un dais ; le clerc de la couronne délivre sa commission à un roi d’armes, qui la lui présente à genoux ; six massiers l’accompagnent toujours, et sont aux portières de son carrosse quand il se rend à la salle et quand il en sort, et il a cent guinées par jour pendant l’instruction du procès. Quand les pairs accusés sont amenés devant lui et devant les pairs, leurs juges, un sergent d’armes crie trois fois : Oyez, en ancienne langue française. Un huissier porte devant l’accusé une hache dont le tranchant est tourné vers le grand steward, et quand l’arrêt de mort est prononcé on tourne alors la hache vers le coupable.

(12 auguste 1746) Ce fut avec ces cérémonies lugubres qu’on amena à Westminster les trois lords Balmerino, Kilmarnock, Cromarty. Le chancelier faisait les fonctions de steward : ils furent tous trois convaincus d’avoir porté les armes pour le prétendant, et condamnés à être pendus et écartelés selon la loi. Le grand steward, qui leur prononça l’arrêt, leur annonça en même temps que le roi, en vertu de la prérogative de sa couronne, changeait ce supplice en celui de perdre la tête. L’épouse du lord Cromarty, qui avait huit enfants et qui était enceinte du neuvième, alla avec sa famille se jeter aux pieds du roi, et obtint la grâce de son mari.

(29 auguste) Les deux autres furent exécutés. Kilmarnock,