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négocia lorsqu’il fallait combattre : il dit aux sénateurs qu’ils armassent les troupes génoises laissées désarmées dans la ville, et qu’ils les joignissent aux Autrichiens pour tomber sur les rebelles au signal qu’il ferait ; mais on ne devait pas s’attendre que le sénat de Gênes se joignît aux oppresseurs de la patrie pour accabler ses défenseurs et pour achever sa perte,

(9 décembre 1746) Les Allemands, comptant sur les intelligences qu’ils avaient dans la ville, s’avancèrent à la porte de Bisagno par le faubourg qui porte ce nom ; mais ils y furent reçus par des salves de canon et de mousqueterie. Le peuple de Gênes composait alors une armée : on battait la caisse dans la ville au nom du peuple, et on ordonnait, sous peine de la vie, à tous les citoyens de sortir en armes hors de leurs maisons, et de se ranger sous les drapeaux de leurs quartiers. Les Allemands furent attaqués à la fois dans le faubourg de Bisagno et dans celui de Saint-Pierre-des-Arènes ; le tocsin sonnait en même temps dans tous les villages des vallées ; les paysans s’assemblèrent au nombre de vingt mille. Un prince Doria, à la tête du peuple, attaqua le marquis de Botta dans Saint-Pierre-des-Arènes ; le général et ses neuf régiments se retirèrent en désordre ; ils laissèrent quatre mille prisonniers et près de mille morts, tous leurs magasins, tous leurs équipages, et allèrent au poste de la Bocchetta, poursuivis sans cesse par de simples paysans, et forcés enfin d’abandonner ce poste et de fuir jusqu’à Gavi.

C’est ainsi que les Autrichiens perdirent Gênes pour avoir trop méprisé et accablé le peuple, et pour avoir eu la simplicité de croire que le sénat se joindrait à eux contre les habitants qui secouraient le sénat même. L’Europe vit avec surprise qu’un peuple faible, nourri loin des armes, et que ni son enceinte de rochers, ni les rois de France, d’Espagne, de Naples, n’avaient pu sauver du joug des Autrichiens, l’eût brisé sans aucun secours, et eût chassé ses vainqueurs.

Il y eut dans ces tumultes beaucoup de brigandages ; le peuple pilla plusieurs maisons appartenantes aux sénateurs soupçonnés de favoriser les Autrichiens ; mais ce qui fut le plus étonnant dans cette révolution, c’est que ce même peuple, qui avait quatre mille de ses vainqueurs dans ses prisons, ne tourna point ses forces contre ses maîtres. Il avait des chefs ; mais ils étaient indiqués par le sénat, et parmi eux il ne s’en trouva point d’assez considérables pour usurper longtemps l’autorité. Le peuple choisit trente-six citoyens pour le gouverner ; mais il y ajouta quatre sénateurs : Grimaldi, Scaglia, Lomellini, Fornari ; et ces quatre nobles ren-