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dernière attaque était incertain. Le maréchal de Saxe, qui voyait la victoire ou l’entière défaite dépendre de cette dernière attaque, songeait à préparer une retraire sûre ; il envoya un second ordre au comte de La Mark d’évacuer Anthoin, et de venir vers le pont de Calonne pour favoriser cette retraite en cas d’un dernier malheur. Il fait signifier un troisième ordre au comte, depuis duc, de Lorges, en le rendant responsable de l’exécution ; le comte de Lorges obéit à regret. On désespérait alors du succès de la journée[1].

Un conseil assez tumultueux se tenait auprès du roi : on le pressait, de la part du général et au nom de la France, de ne pas s’exposer davantage.

Le duc de Richelieu, lieutenant général, et qui servait en qualité d’aide de camp du roi, arriva en ce moment. Il venait de reconnaître la colonne près de Fontenoy. Ayant ainsi couru de tous côtés sans être blessé, il se présente hors d’haleine, l’épée à la main, et couvert de poussière. « Quelle nouvelle apportez-vous ? lui dit le maréchal de Noailles ; quel est votre avis ? — Ma nouvelle, dit le duc de Richelieu, est que la bataille est gagnée si on le veut[2] ; et mon avis est qu’on fasse avancer dans l’instant quatre canons contre le front de la colonne ; pendant que cette artillerie l’ébranlera, la maison du roi et les autres troupes l’entoureront ; il faut tomber sur elle comme des fourrageurs. » Le roi se rendit le premier à cette idée.

Vingt personnes se détachent. Le duc de Péquigny, appelé depuis le duc de Chaulnes[3], va faire pointer ces quatre pièces ; on les place vis-à-vis la colonne anglaise. Le duc de Richelieu court à bride abattue au nom du roi faire marcher sa maison ; il annonce cette nouvelle à M. de Montesson, qui la commandait. Le prince de Soubise rassemble ses gendarmes, le duc de Chaulnes ses chevau-légers, tout se forme et marche ; quatre escadrons de

  1. Les citoyens des villes, qui dans leur heureuse oisiveté lisent dans les anciennes histoires les batailles d’Arbelles, de Zama, de Cannes, de Pharsale, peuvent à peine comprendre les combats de nos jours. On s’approchait alors. Les flèches n’étaient que le prélude : c’était à qui pénétrerait dans les rangs opposés ; la force du corps, l’adresse, la promptitude, faisaient tout : on se mêlait. Une bataille était une multitude de combats particuliers ; il y avait moins de bruit et plus de carnage. La manière de combattre d’aujourd’hui est aussi différente que celle de fortifier et d’attaquer les villes. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez, dans la Correspondance, la lettre à Richelieu, du 15 octobre 1776. Voltaire revient encore sur les quatre canons dans la Tactique, satire (1773) ; voyez tome X.
  3. Michel-Ferdinand d’Albert-d’Ailly, né en 1714, mort en 1748.