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roi, s’approchait de l’ennemi. On était à cinquante pas de distance. Un régiment des gardes anglaises, celui de Campbell, et le royal-écossais, étaient les premiers : M. de Campbell était leur lieutenant général ; le comte d’Albemarle, leur général major, et M. de Churchill, petit-fils naturel du grand duc de Marlborough, leur brigadier. Les officiers anglais saluèrent les Français en ôtant leurs chapeaux. Le comte de Chabanes, le duc de Biron, qui s’étaient avancés, et tous les officiers des gardes françaises leur rendirent le salut, Milord Charles Hay, capitaine aux gardes anglaises, cria : « Messieurs des gardes françaises, tirez. »

Le comte d’Auteroche, alors lieutenant des grenadiers et depuis capitaine, leur dit à voix haute : « Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers ; tirez vous-mêmes[1]. » Les Anglais firent un feu roulant, c’est-à-dire qu’ils tiraient par divisions, de sorte que le front d’un bataillon sur quatre hommes de hauteur ayant tiré, un autre bataillon faisait sa décharge, et ensuite un troisième, tandis que les premiers rechargeaient. La ligne d’infanterie française ne tira point ainsi : elle était seule sur quatre de hauteur, les rangs assez éloignés, et n’étant soutenue par aucune autre troupe d’infanterie. Dix-neuf officiers des gardes tombèrent blessés à cette seule charge. MM. de Clisson, de Langey, de Peyre, y perdirent la vie ; quatre-vingt-quinze soldats demeurèrent sur la place ; deux cent quatre-vingt-cinq y reçurent des blessures ; onze officiers suisses tombèrent blessés, ainsi que deux cent neuf de leurs soldats, parmi lesquels soixante-quatre furent tués. Le colonel de Courten, son lieutenant-colonel, quatre officiers, soixante et quinze soldats, tombèrent morts : quatorze officiers et deux cents soldats furent blessés dangereusement. Le premier rang ainsi emporté, les trois autres regardèrent derrière eux, et ne voyant qu’une cavalerie à plus de trois cents toises, ils se dispersèrent. Le duc de Grammont, leur colonel et premier lieutenant général, qui aurait pu les faire soutenir, était tué. M. de Lutteaux[2], second lieutenant général, n’arriva que dans leur déroute. Les Anglais avançaient à pas lents, comme faisant l’exercice. On voyait les majors appuyer leurs cannes sur les fusils des soldats pour les faire tirer bas et droit. Ils débordèrent Fontenoy et la redoute. Ce corps, qui aupa-

  1. C’était en effet la coutume de l’infanterie française d’essuyer d’abord le feu de l’ennemi, et de charger à la baïonnette sans avoir tiré. Maurice de Saxe, dans un Mémoire, blâme cette coutume. (G. A.)
  2. Voltaire, dans son Poëme de Fontenoy (voyez tome VIII), parle de Lutteaux et de beaucoup d’autres officiers. Il reparle de quelques-uns, et Lutteaux est toujours du nombre, dans la satire intitulée la Tactique (1773) ; voyez tome X.