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conspection, furent alors les premiers à prendre des résolutions hardies. Au 5 mai (1745) les alliés avancèrent à Cambron, à sept lieues de Tournai. Le roi partit le 6 de Paris, avec le dauphin ; les aides de camp du roi, les menins du dauphin, les accompagnaient.

La principale force de l’armée ennemie consistait en vingt bataillons et vingt-six escadrons anglais, sous le jeune duc de Cumberland, qui avait gagné avec le roi son père la bataille de Dettingen ; cinq bataillons et seize escadrons hanovriens étaient joints aux Anglais. Le prince de Valdeck, à peu près de l’âge du duc de Cumberland, impatient de se signaler, était à la tête de quarante escadrons hollandais et de vingt-six bataillons. Les Autrichiens n’avaient dans cette armée que huit escadrons. On faisait la guerre pour eux dans la Flandre, qui a été si longtemps défendue par les armes et par l’argent de l’Angleterre et de la Hollande ; mais à la tête de ce petit nombre d’Autrichiens était le vieux général Kœnigseck, qui avait commandé contre les Turcs en Hongrie, et contre les Français en Italie et en Allemagne. Ses conseils devaient aider l’ardeur du duc de Cumberland et du prince de Valdeck. On comptait dans leur armée au delà de cinquante-cinq mille combattants. Le roi laissa devant Tournai environ dix-huit mille hommes, qui étaient postés en échelle jusqu’au champ de bataille ; six mille pour garder les ponts sur l’Escaut et les communications.

L’armée était sous les ordres d’un général en qui on avait la plus juste confiance. Le comte de Saxe avait déjà mérité sa grande réputation par de savantes retraites en Allemagne et par sa campagne de 1744 ; il joignait une théorie profonde à la pratique. La vigilance, le secret, l’art de savoir différer à propos un projet, et celui de l’exécuter rapidement, le coup d’œil, les ressources, la prévoyance, étaient ses talents, de l’aveu de tous les officiers ; mais alors ce général, consumé d’une maladie de langueur, était presque mourant[1]. Il était parti de Paris très-malade pour l’armée. L’auteur de cette histoire l’ayant même rencontré avant son départ, et n’ayant pu s’empêcher de lui demander comment il pourrait faire dans cet état de faiblesse, le maréchal lui répondit : « Il ne s’agit pas de vivre, mais de partir[2]. »

(1745) Le roi, étant arrivé le 6 mai à Douai, se rendit le lendemain à Pont-à-Chin près de l’Escaut, à portée des tranchées de

  1. Hydropique, il venait de subir la ponction. Il ne mourut que cinq ans après.
  2. C’est à peu près le vers de Racine, dans Bérénice, acte IV, scène vi :

    Mais il ne s’agit pas de vivre, il faut régner.