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servi l’abbé Dubois, alors secrétaire d’État pour les affaires étrangères, depuis cardinal et premier ministre. Il employa la Fillon dans son nouveau département. Celle-ci fit agir une fille fort adroite, qui vola des papiers importants[1] avec quelques billets de banque dans les poches de l’abbé Carrero, au moment de ces distractions où personne ne pense à ses poches. Les billets de banque lui demeurèrent, les lettres furent portées au duc d’Orléans ; elles donnèrent assez de lumières pour faire connaître la conspiration, mais non assez pour en découvrir tout le plan.

L’abbé Porto-Carrero, ayant vu ses papiers disparaître et ne retrouvant plus la fille, partit sur-le-champ pour l’Espagne : on courut après lui ; on l’arrêta près de Poitiers. Le plan de la conspiration fut trouvé dans sa valise avec les lettres du prince de Cellamare. Il s’agissait de faire révolter une partie du royaume et d’exciter une guerre civile ; et, ce qui est très-remarquable, l’ambassadeur, qui ne parle que de mettre le feu aux poudres, et de faire jouer les mines, parle aussi de la miséricorde divine ; et à qui en parlait-il ? au cardinal Albéroni, homme aussi pénétré de la miséricorde divine[2] que le cardinal Dubois son émule.

Albéroni, dans le même temps qu’il voulait bouleverser la France, voulait mettre le prétendant, fils du roi Jacques, sur le trône d’Angleterre par les mains de Charles XII. Ce héros imprudent fut tué en Norvège[3] et Albéroni ne fut point découragé. Une partie des projets de ce cardinal commençait déjà à s’effectuer, tant il avait préparé de ressorts. La flotte qu’il avait armée descendit en Sardaigne dès l’année 1717, et la réduisit en peu de

  1. Les traducteurs français de l’Histoire universelle, dont j’ai parle dans mon Avertissement, ont, dans une note, raconté un peu autrement l’anecdote de la Fillon. « Le secrétaire du prince de Cellamare avait un rendez-vous chez cette femme le jour que partait l’abbé Porto-Carrero. Il s’y rendit tard, et s’excusa sur ce qu’il avait été occupé à des expéditions de lettres fort importantes dont il fallait charger des voyageurs. La Fillon fit agir une fille fort adroite, qui lui déroba son secret, et en instruisit aussitôt cette courtisane. Celle-ci alla sur-le-champ rendre compte au régent de ce qu’elle venait d’apprendre ; en conséquence on expédia un courrier muni des ordres nécessaires pour avoir main-forte. Il joignit les voyageurs à Poitiers, les fit arrêter et saisir leurs papiers, qu’il rapporta à Paris. M. de Voltaire, qui était alors à Paris, n’a pas dû ni pu ignorer ces faits. Comment croire d’ailleurs qu’un ambassadeur eut été assez imprudent pour confier des papiers de la plus grande importance à un jeune homme avant le moment de son départ ? Plus on y réfléchit, plus on voit que le fait n’a pu arriver de la manière dont il est rapporté par M. de Voltaire. » (B.)

    — M. Henri Martin répudie toute l’histoire de la Fillon.

  2. Voyez ci-après, page 169.
  3. Le 11 décembre 1718.