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TROISIÈME PARTIE.

paix était retardée quand nos prospérités étaient interrompues ; elle se fit quand Turenne fut maître de la Bavière, et quand Kœnigsmarck prenait Prague. Ce n’est que les armes à la main qu’on force une nation à céder une province : encore l’acquisition de l’Alsace nous coûta-t-elle environ six millions d’aujourd’hui.

Ce traducteur dit que les belles années de Louis XIV furent celles où l’esprit de Mazarin régnait encore. Est-ce donc l’esprit de Mazarin qui conquit la Franche-Comté, et les villes de Flandre qu’il avait rendues ? Est-ce l’esprit de Mazarin qui fit construire cent vaisseaux de ligne, lui qui, dans huit ans d’une administration paisible, avait laissé la marine dépérir ? Est-ce l’esprit de Mazarin qui réforma les lois, qu’il ignorait, et les finances, qu’il avait pillées ? Croit-on, pour avoir traduit milord Bolingbroke, savoir mieux l’histoire de mon pays que moi ? Je la sais mieux que milord Bolingbroke, parce qu’il était de mon devoir de l’étudier. Je n’ai eu nulle affection particulière, et la vérité a été mon seul objet ; non cette vérité de détails qui ne caractérisent rien, qui n’apprennent rien, qui ne sont bons à rien, mais cette vérité qui développe le génie du maître, de la cour, et de la nation. L’ouvrage pouvait être beaucoup meilleur, mais il ne pouvait être fait dans une vue meilleure.

J’apprends qu’on se plaint que j’ai omis plusieurs écrivains dans la liste de ceux qui ont servi à faire fleurir les arts dans le beau siècle de Louis XIV. Je n’ai pu parler que de ceux dont les écrits sont parvenus à ma connaissance dans la retraite où j’étais[1].

J’apprends que plusieurs protestants me reprochent d’avoir trop peu respecté leur secte ; j’apprends que quelques catholiques crient que j’ai beaucoup trop ménagé, trop plaint, trop loué les protestants. Cela ne prouve-t-il pas que j’ai gardé mon caractère, que je suis impartial[2] ?

Est modus in rebus ; sunt certi denique fines,
Quos ultra citraque nequit consistere rectum.

Hor., lib. I, sat. i.
  1. Cirey.
  2. On trouve encore dans l’édition de La Beaumelle les quelques lignes d’avertissement qui étaient en tête de l’édition de Berlin, et qu’on chercherait vainement ailleurs. Les voici ; c’est l’éditeur, M. de Francheville, qui est censé parler :

    « Le manuscrit de cet ouvrage m’ayant été remis par l’auteur, je le lus avec une très-grande attention ; j’y remarquai un amour extrême de la vérité et une impartialité entière sur toutes les matières qui y ont été traitées. C’est surtout par ces raisons que je me suis fait un devoir de le faire imprimer sous les auspices d’un monarque à qui la vérité n’est pas moins chère que la gloire, et qui, de l’aveu même de l’Europe, est aussi capable d’instruire les hommes que de juger de leurs ouvrages.

    « J’ai préféré une édition commode en deux petits volumes à une plus magnifique et plus grande ; et j’ose assurer que dans ces deux petits volumes on trouvera plus de faits intéressants et plus d’anecdotes curieuses que dans les collections immenses que l’on nous a données jusqu’ici sur le règne de Louis XIV.

    « Au reste, quoiqu’il soit question à la fin de cet ouvrage des choses que Louis XIV a exécutées par lui-même, et que plus d’un établissement de Louis XIV ait été perfectionné par son successeur ; cependant il a paru que le titre de Siècle de Louis XIV devait subsister, non-seulement parce que c’est l’histoire d’environ quatre-vingts années, mais parce que la plupart des grands changements dont il est parlé ont été commencés sous ce règne. » (G. A.)