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PREMIÈRE PARTIE.

dit, d’un Hollandais qui n’avait pu être employé dans sa patrie ; et souvenez-vous que quand on est assez téméraire pour attaquer la mémoire d’un homme tel que le maréchal de Vauban, il faut citer des autorités convaincantes.

12° Apprenez que si vous gagiez, comme vous le dites, que les aides de camp de Louis XIV ne mangeaient pas à sa table, vous perdriez. Ils y mangeaient comme ceux de Louis XV, titrés ou non titrés. Les gentilshommes ordinaires de sa chambre y mangeaient aussi quand ils avaient fait les fonctions d’aides de camp. M. du Libois fut le dernier qui eut cet honneur, etc. M. de Larrey, auteur de l’Histoire de Louis XIV, était conseiller aulique du roi de Prusse, et n’était pas gentilhomme de la chambre de Louis XIV, comme vous le dites, et ne pouvait l’être étant calviniste.

13° Apprenez que cette criminelle remarque, « qu’un roi absolu qui veut le bien est un être de raison, et que Louis XIV ne réalisa jamais cette chimère », est aussi punissable que fausse. Vous avez l’insolence, vous, jeune barbouilleur de papier, d’outrager Louis XIV et Louis XV ! Je détourne les yeux de votre crime pour dire à cette occasion qu’un roi absolu, quand il n’est pas un monstre, ne peut vouloir que la grandeur et la prospérité de son État, parce qu’elle est la sienne propre, parce que tout père de famille veut le bien de sa maison. Il peut se tromper sur le choix des moyens, mais il n’est pas dans la nature qu’il veuille le mal de son royaume.

J’ai une observation nécessaire à faire ici sur le mot despotique[1] dont je me suis servi quelquefois. Je ne sais pourquoi ce terme, qui dans son origine n’était que l’expression du pouvoir très-faible et très-limité d’un petit vassal de Constantinople, signifie aujourd’hui un pouvoir absolu et même tyrannique. On est venu au point de distinguer, parmi les formes des gouvernements ordinaires, ce gouvernement despotique dans le sens le plus affreux, le plus humiliant pour les hommes qui le souffrent, et le plus détestable dans ceux qui l’exercent. On s’était contenté auparavant de reconnaître deux espèces de gouvernements, et de ranger les uns et les autres sous différentes divisions. On est parvenu[2] à imaginer une troisième forme d’administration naturelle, à laquelle on a donné le nom d’état despotique, dans laquelle il n’y

  1. Sur ce mot, voyez tome XII, page 110 ; le dialogue ABC, premier entretien ; Un Chrétien contre six Juifs, vingt et unième niaiserie ; voyez enfin le paragraphe iii du Commentaire sur l’Esprit des lois. ( B.)
  2. C’est de Montesquieu que parle Voltaire ; voyez dans les Mélanges, à la date de 1752, Mes Pensées sur le gouvernement, xxii (xx).