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PREMIÈRE PARTIE.

dit que « l’inhumanité des châtiments fait périr ces hommes (impunis) dans l’étisie, ou languir par des descentes ».

À peine est-il hors de Gotha qu’il dit (page 108) : « Je voudrais bien savoir de quel droit de petits princes, un duc de Gotha par exemple, vendent aux grands le sang de leurs sujets ? »

S’il part de Suisse, il outrage (page 300) les Sinner, les Orlac, les Steiger, les Vatteville, les Diesbach, en les nommant par leurs noms.

Se croit-il hors d’état de voyager en Angleterre, il dit (page 258) que « lord Bath serait déshonoré en France ». A-t-il quitté la Hollande, il insère (page 279) que « bientôt la Hollande ne sera bonne qu’à être submergée, quand le stathoudérat sera bien établi ».

Est-il loin de la France, il dit (page 302) que « le despotisme y a éteint jusqu’au nom de vertu ». Mais dès qu’il veut venir à Paris, il ôte cette page, et il met dans une autre que le lieutenant de police est un Messala, et il espère que Messala protégera les honnêtes gens qui pensent.

Voilà donc ce que ce personnage appelle Mes Pensées, et ce qu’on a lu avec la curiosité et les sentiments que cette noble hardiesse doit inspirer. Pour rendre ses autres pensées meilleures, il les a prises partout. Il butine des idées comme il a butiné des lettres ; mais il défigure un peu ce qu’il touche[1]. Rapporte-t-il une dépêche du cardinal de Richelieu, il lui fait dire une sottise. Il prétend que le cardinal de Richelieu a écrit : « Le roi a changé de ministre, et son ministre de maxime. » Il ne sent pas que ce n’est point le nouveau ministre, le cardinal de Richelieu lui-même, qui a changé. Il y a dans la lettre : « Le roi a changé de ministre, et le conseil de maxime. » Voilà des paroles d’un grand sens ; mais de la manière dont il les cite, elles n’en ont aucun.

Il défigure de la même façon des vers de la tragédie de Rome sauvée, en leur substituant les siens : car ce galant homme est aussi poëte, ou du moins il veut faire des vers.

Il y a pourtant quelques pensées dans son livre qui sont à lui, et qui ne peuvent être qu’à lui : par exemple il donne des conseils à un jeune courtisan pour se conduire avec vertu, et lui dit (page 58) : « Le mérite parvient à la cour par la bassesse, et le métalent par l’effronterie : rampez donc effrontément. » On ne saurait donner un conseil plus honnête.

  1. La Beaumelie déclare qu’il ne comprend pas ce mot : Butiner des lettres. Il a des raisons pour cela, car ses Lettres de madame de Maintenon sont en effet, comme le fait entendre Voltaire, défigurées. (G. A.) — Voyez la nouvelle édition de ces Lettres publiée par M. Th. Lavallée.