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DU SIÈCLE DE LOUIS XIV.

surtout qu’elle n’a jamais senti que ce qui devait plaire aux Grecs dans des temps grossiers, et ce qu’on respectait déjà comme ancien dans des temps postérieurs plus éclairés, aurait pu déplaire s’il avait été écrit du temps de Platon et de Démosthène ; mais enfin nulle femme n’a jamais rendu plus de services aux lettres. Mme  Dacier est un des prodiges du siècle de Louis XIV.

Dacier (Anne Lefèvre, Mme ), née calviniste à Saumur, en 1651, illustre par sa science. Le duc de Montausier la fit travailler à l’un de ces livres qu’on nomme Dauphins, pour l’éducation de Monseigneur. Le Florus avec des notes latines est d’elle. Ses traductions de Térence et d’Homère lui font un honneur immortel. On ne pouvait lui reprocher que trop d’admiration pour tout ce qu’elle avait traduit. Lamotte ne l’attaqua qu’avec de l’esprit, et elle ne combattit qu’avec de l’érudition[1]. Morte en 1720 au Louvre.

D’Aguesseau[2] (Henri-François), chancelier, le plus savant magistrat que jamais la France ait eu, possédant la moitié des langues modernes de l’Europe, outre le latin, le grec, et un peu d’hébreu ; très-instruit dans l’histoire, profond dans la jurisprudence, et, ce qui est plus rare, éloquent. Il fut le premier au barreau qui parla avec force et pureté à la fois ; avant lui on faisait des phrases. Il conçut le projet de réformer les lois, mais il ne put faire que quatre ou cinq ordonnances utiles. Un seul homme ne peut suffire à ce travail immense que Louis XIV avait entrepris avec le secours d’un grand nombre de magistrats. Mort en 1750.

Danchet (Antoine), né à Riom en 1671, a réussi à l’aide du musicien dans quelques opéras, qui sont moins mauvais que ses tragédies. Son prologue des Jeux séculaires au devant d’Hésione passe même pour un très-bon ouvrage, et peut être comparé à celui d’Amadis. On a retenu ces beaux vers imités d’Horace :

Père des saisons et des jours,

Fais naître en ces climats un siècle mémorable.
Puisse à ses ennemis ce peuple redoutable
Être à jamais heureux, et triompher toujours !
Nous avons à nos lois asservi la victoire ;
Aussi loin que tes feux nous portons notre gloire.
Fais dans tout l’univers craindre notre pouvoir.

Toi, qui vois tout ce qui respire,

  1. Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article Épopée.
  2. C’est ainsi qu’a écrit Voltaire, qui avait placé cet article à la lettre D. Il l’avait ajouté en 1768. Mais il s’exprime bien autrement sur le chancelier, dans sa Correspondance ; voyez la lettre à Damilaville, du 24 mai 1761, et à d’Alembert, des 7 ou 8 mai 1761, et 30 janvier 1764. Le chancelier signait Daguesseau. (B.)