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métrie, et effort qu’il avait fait à vingt-quatre ans. C’est ce qui a fait dire à un grand philosophe, au savant Halley, « qu’il n’est pas permis à un mortel d’atteindre de plus près à la divinité. »

Une foule de bons géomètres, de bons physiciens, fut éclairée par ses découvertes, et animée par lui. Bradley trouva enfin l’aberration de la lumière des étoiles fixes, placées au moins à douze millions de millions de lieues de notre petit globe.

Ce même Halley que je viens de citer eut, quoique simple astronome, le commandement d’un vaisseau du roi, en 1698. C’est sur ce vaisseau qu’il détermina la position des étoiles du pôle antarctique, et qu’il marqua toutes les variations de la boussole dans toutes les parties du globe connu. Le voyage des Argonautes n’était, en comparaison, que le passage d’une barque d’un bord de rivière à l’autre. À peine a-t-on parlé dans l’Europe du voyage de Halley.

Cette indifférence que nous avons pour les grandes choses, devenues trop familières, et cette admiration des anciens Grecs pour les petites, est encore une preuve de la prodigieuse supériorité de notre siècle sur les anciens. Boileau en France, le chevalier Temple en Angleterre, s’obstinaient à ne pas reconnaître cette supériorité[1] : ils voulaient dépriser leur siècle pour se mettre eux-mêmes au-dessus de lui. Cette dispute entre les anciens et les modernes est enfin décidée, du moins en philosophie. Il n’y a pas un ancien philosophe qui serve aujourd’hui à l’instruction de la jeunesse chez les nations éclairées.

Locke seul serait un grand exemple de cet avantage que notre siècle a eu sur les plus beaux âges de la Grèce. Depuis Platon jusqu’à lui, il n’y a rien : personne, dans cet intervalle, n’a développé les opérations de notre âme ; et un homme qui saurait tout Platon, et qui ne saurait que Platon, saurait peu, et saurait mal.

C’était, à la vérité, un Grec éloquent ; son apologie de Socrate est un service rendu aux sages de toutes les nations ; il est juste de le respecter, puisqu’il a rendu si respectable la vertu malheureuse, et les persécuteurs si odieux. On crut longtemps que sa belle morale ne pouvait être accompagnée d’une mauvaise métaphysique ; on en fit presque un père de l’Église, à cause de son Ternaire, que personne n’a jamais compris. Mais que penserait-on aujourd’hui d’un philosophe qui nous dirait qu’une matière est l’autre ; que le monde est une figure de douze pentagones ; que le feu, qui est une pyramide, est lié à la terre par des nombres ?

  1. Dans les arts et la littérature.