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CHAPITRE XXXI.

Il était très-commun auparavant d’éprouver les sorciers en les plongeant dans l’eau, liés de cordes ; s’ils surnageaient, ils étaient convaincus. Plusieurs juges de province avaient ordonné ces épreuves, et elles continuèrent encore longtemps parmi le peuple. Tout berger était sorcier ; et les amulettes, les anneaux constellés, étaient en usage dans les villes. Les effets de la baguette de coudrier, avec laquelle on croit découvrir les sources, les trésors et les voleurs, passaient pour certains, et ont encore beaucoup de crédit dans plus d’une province d’Allemagne. Il n’y avait presque personne qui ne se fit tirer son horoscope. On n’entendait parler que de secrets magiques ; presque tout était illusion. Des savants, des magistrats, avaient écrit sérieusement sur ces matières. On distinguait parmi les auteurs une classe de démonographes. Il y avait des règles pour discerner les vrais magiciens, les vrais possédés d’avec les faux ; enfin, jusque vers ces temps-là, on n’avait guère adopté de l’antiquité que des erreurs en tout genre.

Les idées superstitieuses étaient tellement enracinées chez les hommes que les comètes les effrayaient encore en 1680. On osait à peine combattre cette crainte populaire. Jacques Bernouilli, l’un des grands mathématiciens de l’Europe, en répondant, à propos de cette comète, aux partisans du préjugé, dit que la chevelure de la comète ne peut être un signe de la colère divine, parce que cette chevelure est éternelle ; mais que la queue pourrait bien en être un. Cependant ni la tête ni la queue ne sont éternelles. Il fallut que Bayle écrivît contre le préjugé vulgaire un livre fameux, que les progrès de la raison ont rendu aujourd’hui moins piquant qu’il ne l’était alors[1].

On ne croirait pas que les souverains eussent obligation aux philosophes. Cependant il est vrai que cet esprit philosophique, qui a gagné presque toutes les conditions, excepté le bas peuple, a beaucoup contribué à faire valoir les droits des souverains. Des querelles qui auraient produit autrefois des excommunications, des interdits, des schismes, n’en ont point causé. Si on a dit que les peuples seraient heureux quand ils auraient des philosophes

    naturels opérés par le diable ». Le livre de dom Calmet sur les vampires et sur les apparitions a passé pour un délire ; mais il fait voir combien l’esprit humain est porté à la superstition. (Note de Voltaire.) — Sur L. Gauffridi, voyez le chapitre IX du Prix de la justice et de l’humanité, Le livre de dom Calmet, dont il est question dans la note de Voltaire, est intitulé Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires, ou les revenants de Hongrie, de Moravie, etc., nouvelle édition, 1751, deux volumes in-12 ; la première édition est de 1746. (B.)

  1. Pensées sur la comète écrites à un docteur de Sorbonne.