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FINANCES ET RÈGLEMENTS.

ticuliers produisirent trois autres millions. La ressource était faible.

On fit ensuite une de ces énormes fautes dont le ministère ne s’est corrigé que dans nos derniers temps : ce fut d’altérer les monnaies, de faire des refontes inégales, de donner aux écus une valeur non proportionnée à celle des quarts ; il arriva que, les quarts étant plus forts et les écus plus faibles, tous les quarts furent portés dans le pays étranger ; ils y furent frappés en écus, sur lesquels il y avait à gagner en les reversant en France. Il faut qu’un pays soit bien bon par lui-même pour subsister encore avec force après avoir essuyé si souvent de pareilles secousses. On n’était pas encore instruit : la finance était alors, comme la physique, une science de vaines conjectures. Les traitants étaient des charlatans qui trompaient le ministère ; il en coûta quatre-vingts millions à l’État, Il faut vingt ans de peines pour réparer de pareilles brèches.

Vers les années 1691 et 1692, les finances de l’État parurent donc sensiblement dérangées. Ceux qui attribuaient l’affaiblissement des sources de l’abondance aux profusions de Louis XIV dans ses bâtiments, dans les arts, et dans les plaisirs, ne savaient pas qu’au contraire les dépenses qui encouragent l’industrie enrichissent un État[1]. C’est la guerre qui appauvrit nécessairement le trésor public, à moins que les dépouilles des vaincus ne le remplissent. Depuis les anciens Romains, je ne connais aucune nation qui se soit enrichie par des victoires. L’Italie, au xvie siècle, n’était riche que par le commerce. La Hollande n’eût pas subsisté longtemps si elle se fût bornée à enlever la flotte d’argent des Espagnols, et si les grandes Indes n’avaient pas été l’aliment de sa puissance. L’Angleterre s’est toujours appauvrie par la guerre, même en détruisant les flottes françaises ; et le commerce seul l’a enrichie. Les Algériens, qui n’ont guère que ce qu’ils gagnent par les pirateries, sont un peuple très-misérable.

Parmi les nations de l’Europe, la guerre, au bout de quelques

  1. La véritable richesse d’un État consiste dans la quantité des productions du sol qui reste au delà de ce qui doit être employé à payer les frais de leur culture. L’industrie contribue à augmenter la richesse. Dans un peuple sans industrie, chacun ne cultiverait que pour avoir le nécessaire physique, et la culture serait languissante. Mais, quelle que soit l’industrie, si les dépenses du prince l’obligent à mettre des impôts qui réduisent le cultivateur au nécessaire, l’industrie de la nation cesse de contribuer à augmenter la richesse, et ne tarde pas à diminuer avec elle. Par la même raison, si le luxe empêche d’employer à soutenir ou à augmenter la culture une partie des sommes qui y seraient consacrées, il peut nuire à la richesse, quoiqu’il paraisse favoriser l’industrie. (K.)