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CHAPITRE XXIX.

ministre Colbert avait établi ; et la guerre de la succession l’acheva.

S’il avait employé à embellir Paris, à finir le Louvre, les sommes immenses que coûtèrent les aqueducs et les travaux de Maintenon, pour conduire des eaux à Versailles, travaux interrompus et devenus inutiles ; s’il avait dépensé à Paris la cinquième partie de ce qu’il en a coûté pour forcer la nature à Versailles, Paris serait, dans toute son étendue, aussi beau qu’il l’est du côté des Tuileries et du Pont-Royal, et serait devenu la plus magnifique ville de l’univers.

C’est beaucoup d’avoir réformé les lois, mais la chicane n’a pu être écrasée par la justice. On pensa à rendre la jurisprudence uniforme ; elle l’est dans les affaires criminelles, dans celles du commerce, dans la procédure : elle pourrait l’être dans les lois qui règlent les fortunes des citoyens. C’est un très-grand inconvénient qu’un même tribunal ait à prononcer sur plus de cent coutumes différentes. Des droits de terres, ou équivoques, ou onéreux, ou qui gênent la société, subsistent encore comme des restes du gouvernement féodal, qui ne subsiste plus : ce sont des décombres d’un bâtiment gothique ruiné.

Ce n’est pas qu’on prétende que les différents ordres de l’État doivent être assujettis à la même loi[1]. On sent bien que les usages de la noblesse, du clergé, des magistrats, des cultivateurs, doivent être différents ; mais il est à souhaiter, sans doute, que chaque ordre ait sa loi uniforme dans tout le royaume ; que ce qui est juste ou vrai dans la Champagne ne soit pas réputé faux ou injuste en Normandie. L’uniformité en tout genre d’administration est une vertu ; mais les difficultés de ce grand ouvrage ont effrayé.

Louis XIV aurait pu se passer plus aisément de la ressource dangereuse des traitants, à laquelle le réduisit l’anticipation qu’il fit presque toujours sur ses revenus, comme on le verra dans le chapitre des finances.

S’il n’eût pas cru qu’il suffisait de sa volonté pour faire changer de religion à un million d’hommes, la France n’eût pas perdu tant de citoyens[2]. Ce pays cependant, malgré ses secousses et ses pertes, est encore un des plus florissants de la terre parce que tout le bien qu’a fait Louis XIV subsiste, et que le mal, qu’il était

  1. La première phrase de cet alinéa est de 1753 ; la seconde phrase était dans l’édition de 1752 ; la troisième phrase est dans l’édition de 1751. (B.)
  2. Voyez, ci-après, le chapitre xxxvi, du Calvinisme. (Note de Voltaire.)