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La nation désirait que Louis XIV eût préféré son Louvre et sa capitale au palais de Versailles, que le duc de Créquy appelait un favori sans mérite. La postérité admire avec reconnaissance ce qu’on a fait de grand pour le public ; mais la critique se joint à l’admiration, quand on voit ce que Louis XIV a fait de superbe et de défectueux pour sa maison de campagne.

Il résulte de tout ce qu’on vient de rapporter que ce monarque aimait en tout la grandeur et la gloire. Un prince qui, ayant fait d’aussi grandes choses que lui, serait encore simple et modeste, serait le premier des rois,[1] et Louis XIV le second.

S’il se repentit en mourant d’avoir entrepris légèrement des guerres, il faut convenir qu’il ne jugeait pas par les événements : car, de toutes ses guerres, la plus juste et la plus indispensable, celle de 1701, fut la seule malheureuse.

Il eut de son mariage, outre Monseigneur, deux fils et trois filles morts dans l’enfance. Ses amours furent plus heureux : il n’y eut que deux de ses enfants naturels qui moururent au berceau ; huit autres vécurent, furent légitimés, et cinq eurent postérité. Il eut encore d’une demoiselle, attachée à Mme  de Montespan, une fille non reconnue, qu’il maria à un gentilhomme d’auprès de Versailles, nommé de La Queue.

On soupçonna, avec beaucoup de vraisemblance, une religieuse de l’abbaye de Moret d’être sa fille. Elle était extrêmement basanée, et d’ailleurs lui ressemblait[2]. Le roi lui donna vingt mille écus de dot, en la plaçant dans ce couvent. L’opinion qu’elle avait de sa naissance lui donnait un orgueil dont ses supérieures se plaignirent. Mme  de Maintenon, dans un voyage de Fontainebleau, alla au couvent de Moret ; et voulant inspirer plus de modestie à cette religieuse, elle fit ce qu’elle put pour lui ôter l’idée qui nourrissait sa fierté. « Madame, lui dit cette personne, la peine que prend une dame de votre élévation, de venir exprès ici me dire que je ne suis pas fille du roi, me persuade que je le suis. » Le couvent de Moret se souvient encore de cette anecdote.

Tant de détails pourraient rebuter un philosophe ; mais la curiosité, cette faiblesse si commune aux hommes, cesse presque d’en être une quand elle a pour objet des temps et des hommes qui attirent les regards de la postérité.

  1. La Beaumelle croit que ce passage, qui existe dès 1751, regarde le roi de Prusse. (B.)
  2. L'auteur l'a vue avec M. de Caumartin, intendant des finances, qui avait le droit d’entrer dans l'intérieur du couvent. (Note de Voltaire.) — C’est le Caumartin dont Voltaire a parlé pages 52 et 432.