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SUITE DES ANECDOTES.

proposait pour ses prix, lui fit voir celui-ci : Quelle est de toutes les vertus du roi celle qui mérite la préférence ? le roi rougit, et ne voulut pas qu’un tel sujet fût traité. Il souffrit les prologues de Quinault[1] ; mais c’était dans les plus beaux jours de sa gloire ; dans le temps où l’ivresse de la nation excusait la sienne. Virgile et Horace, par reconnaissance, et Ovide, par une indigne faiblesse, prodiguèrent à Auguste des éloges plus forts, et, si on songe aux proscriptions, bien moins mérités.

Si Corneille avait dit dans la chambre du cardinal de Richelieu, à quelqu’un des courtisans : Dites à monsieur le cardinal que je me connais mieux en vers que lui, jamais ce ministre ne lui eût pardonné ; c’est pourtant ce que Despréaux dit tout haut du roi, dans une dispute qui s’éleva sur quelques vers que le roi trouvait bons, et que Despréaux condamnait. « Il a raison, dit le roi ; il s’y connaît mieux que moi. »

Le duc de Vendôme avait auprès de lui Villiers, un de ces hommes de plaisir, qui se font un mérite d’une liberté cynique. Il le logeait à Versailles dans son appartement. On l’appelait communément Villiers-Vendôme. Cet homme condamnait hautement tous les goûts de Louis XIV, en musique, en peinture, en architecture, en jardins. Le roi plantait-il un bosquet, meublait il un appartement, construisait-il une fontaine, Villiers trouvait tout mal entendu, et s’exprimait en termes peu mesurés. « Il est étrange, disait le roi, que Villiers ait choisi ma maison pour venir s’y moquer de tout ce que je fais. » L’ayant rencontré un jour dans les jardins : « Eh bien ! lui dit-il en lui montrant un de ses nouveaux ouvrages, cela n’a donc pas le bonheur de vous plaire ? — Non, répondit Villiers. — Cependant, reprit le roi, il y a bien des gens qui n’en sont pas si mécontents. — Cela peut être, repartit Villiers, chacun à son avis. » Le roi, en riant, répondit : « On ne peut pas plaire à tout le monde. »

Un jour Louis XIV jouant au trictrac, il y eut un coup douteux. On disputait ; les courtisans demeuraient dans le silence. Le comte de Grammont arrive. « Jugez-nous, lui dit le roi. — Sire, c’est vous qui avez tort, dit le comte. — Et comment pouvez-vous me donner le tort avant de savoir ce dont il s’agit ? — Eh ! sire, ne voyez-vous pas que, pour peu que la chose eût été seulement

  1. Un Jour Guillaume III, qui détestait Louis XIV, et qui n’aimait guère la littérature, apostropha ainsi un comédien qui récitait devant lui, en plein théâtre, des vers à sa louange : « Qu’on me chasse ce coquin-là ! me prend-il pour le roi de France ? » (Cl.)