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CHAPITRE XXVIII.

SUITE DES ANECDOTES.


Louis XIV dévorait sa douleur en public ; il se laissa voir à l’ordinaire ; mais, en secret, les ressentiments de tant de malheurs le pénétraient, et lui donnaient des convulsions. Il éprouvait toutes ces pertes domestiques à la suite d’une guerre malheureuse, avant qu’il fût assuré de la paix, et dans un temps où la misère désolait le royaume. On ne le vit pas succomber un moment à ses afflictions.

Le reste de sa vie fut triste. Le dérangement des finances, auquel il ne put remédier, aliéna les cœurs. Sa confiance entière pour le jésuite Le Tellier, homme trop violent, acheva de les révolter. C’est une chose très-remarquable que le public, qui lui pardonna toutes ses maîtresses, ne lui pardonna pas son confesseur. Il perdit, les trois dernières années de sa vie, dans l’esprit de la plupart de ses sujets, tout ce qu’il avait fait de grand et de mémorable.


    contre ce prince pendant sa régence, et qui se réfugia ensuite en Hollande sous le nom de La Hode. Il était instruit de quelques faits publics. Il dit, tome Ier, page 112, que « le prince, si injustement soupçonné, demanda à se constituer prisonnier » ; et ce fait est très-vrai. Ce jésuite n'était pas à portée de savoir comment M. de Ganillac s'opposa à cette démarche trop injurieuse à l’innocence du prince. Toutes les autres anecdotes qu’il rapporte sont fausses. Reboulet, qui l’a copié, dit après lui, page 143, tome VIII, que « le dernier enfant du duc et de la duchesse de Bourgogne fut sauvé par du contre-poison de Venise ». Il n’y a point de contrepoison de Venise qu’on donne ainsi au hasard. La médecine ne connaît point d’antidotes généraux qui puissent guérir un mal dont on ne connaît point la source. Tous les contes qu’on a répandus dans le public en ces temps malheureux ne sont qu’un amas d’erreurs populaires.

    C’est une fausseté de peu de conséquence dans le compilateur des Mémoires de madame de Maintenon, de dire que « le duc du Maine fut alors à l’agonie » ; c’est une calomnie puérile de dire que « l’auteur du Siècle de Louis XIV accrédite ces bruits plus qu’il ne les détruit ».

    Jamais l’histoire n’a été déshonorée par de plus absurdes mensonges que dans ces prétendus Mémoires. L’auteur feint de les écrire en 1753. Il s’avise d’imaginer que le duc et la duchesse de Bourgogne, et leur fils aîné, moururent de la petite vérole ; il avance cette fausseté pour se donner un prétexte de parler de l’inoculation qu’on a faite au mois de mai 1756. Ainsi, dans la même page, il se trouve qu’il parle, en 1753, de ce qui est arrivé en 1756.

    La littérature a été infectée de tant de sortes d’écrits calomnieux, on a débité en Hollande tant de faux Mémoires, tant d’impostures sur le gouvernement et sur les citoyens, que c’est un devoir de précautionner les lecteurs contre cette foule de libelles. (Note de Voltaire.)