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avec une légèreté et une grâce particulière. On voit par là combien est ridicule ce conte que j’ai entendu encore renouveler, que Mme  de Montespan était obligée de faire écrire ses lettres au roi par Mme  Scarron ; et que c’est là ce qui en fit sa rivale, et sa rivale heureuse.

Mme  Scarron, depuis Mme  de Maintenon, avait à la vérité plus de lumières acquises par la lecture ; sa conversation était plus douce, plus insinuante. Il y a des lettres d’elle où l’art embellit le naturel, et dont le style est très-élégant. Mais Mme  de Montespan n’avait besoin d’emprunter l’esprit de personne ; et elle fut longtemps favorite avant que Mme  de Maintenon lui fût présentée.

Le triomphe de Mme  de Montespan éclata au voyage que le roi fit en Flandre en 1670. La ruine des Hollandais fut préparée dans ce voyage au milieu des plaisirs : ce fut une fête continuelle dans l’appareil le plus pompeux.

Le roi, qui fit tous ses voyages de guerre à cheval, fit celui-ci, pour la première fois, dans un carrosse à glace ; les chaises de poste n’étaient point encore inventées. La reine, Madame, sa belle-sœur, la marquise de Montespan, étaient dans cet équipage superbe, suivi de beaucoup d’autres ; et quand Mme  de Montespan allait seule, elle avait quatre gardes du corps aux portières de son carrosse. Le dauphin arriva ensuite avec sa cour, Mademoiselle avec la sienne : c’était avant la fatale aventure de son mariage ; elle partageait en paix tous ces triomphes, et voyait avec complaisance son amant, favori du roi, à la tête de sa compagnie des gardes. On faisait porter dans les villes où l’on couchait les plus beaux meubles de la couronne. On trouvait dans chaque ville un bal masqué ou paré, ou des feux d’artifice. Toute la maison de guerre accompagnait le roi, et toute la maison de service précédait ou suivait. Les tables étaient tenues comme à Saint-Germain. La cour visita dans cette pompe toutes les villes conquises. Les principales dames de Bruxelles, de Gand, venaient voir cette magnificence. Le roi les invitait à sa table ; il leur faisait des présents pleins de galanterie. Tous les officiers des troupes en garnison recevaient des gratifications. Il en coûta plusieurs fois quinze cents louis d’or par jour en libéralités.

Tous les honneurs, tous les hommages, étaient pour Mme  de Montespan, excepté ce que le devoir donnait à la reine. Cependant cette dame n’était pas du secret. Le roi savait distinguer les affaires d’État des plaisirs.

Madame, chargée seule de l’union des deux rois et de la des-