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Pour le comte de Lauzun, il passa en Angleterre en 1688. Toujours destiné aux aventures extraordinaires, il conduisit en France la reine, épouse de Jacques II, et son fils au berceau. Il fut fait duc. Il commanda en Irlande avec peu de succès, et revint avec plus de réputation attachée à ses aventures que de considération personnelle. Nous l’avons vu mourir fort âgé et oublié[1], comme il arrive à tous ceux qui n’ont eu que de grands événements sans avoir fait de grandes choses.

Cependant Mme  de Montespan était toute-puissante dès le commencement des intrigues dont on vient de parler.

Athénaïs de Mortemar, femme du marquis de Montespan ; sa sœur aînée, la marquise de Thianges ; et sa cadette, pour qui elle obtint l’abbaye de Fontevrault, étaient les plus belles femmes de leur temps, et toutes trois joignaient à cet avantage des agréments singuliers dans l’esprit. Le duc de Vivonne, leur frère, maréchal de France, était aussi un des hommes de la cour qui avaient le plus de goût et de lecture. C’était lui à qui le roi disait un jour : « Mais à quoi sert de lire ? » Le duc de Vivonne, qui avait de l’embonpoint et de belles couleurs, répondit : « La lecture fait à l’esprit ce que vos perdrix font à mes joues. »

Ces quatre personnes plaisaient universellement par un tour singulier de conversation mêlée de plaisanterie, de naïveté, et de finesse, qu’on appelait l’esprit des Mortemar. Elles écrivaient toutes


    Mémoires de madame de Maintenon, faits par le nommé La Beaumelle : il y est dit qu’en 1681 un des ministres du duc de Lorraine vint, déguisé en mendiant, se présenter dans une église à Mademoiselle, lui montra une paire d’heures sur lesquelles il était écrit : « De la part du duc de Lorraine ; » et qu’en suite il négocia avec elle pour l’engager à déclarer le duc son héritier (tome II, page 204). Cette fable est prise de l’aventure vraie ou fausse de la reine Clotilde. Mademoiselle n’en parle point dans ses Mémoires, où elle n’omet pas les petits faits. Le duc de Lorraine n’avait aucun droit à la succession de Mademoiselle ; de plus elle avait fait, en 1679, le duc du Maine et le comte de Toulouse ses héritiers.

    L’auteur de ces misérables Mémoires dit, page 207, que « le duc de Lauzun, à son retour, ne vit dans Mademoiselle qu’une fille brûlante d’un amour impur ». Elle était sa femme, et il l’avoue. Il est difficile d’écrire plus d’impostures dans un style plus indécent. (Note de Voltaire.)

    — Voltaire, qui, dans les chapitres précédents, a tant de fois critiqué les Mémoires de madame de Maintenon, en nomme ici l’auteur pour la première fois, et trahit le secret de son acrimonie. La Beaumelle avait eu envers lui des torts qu’il ne lui pardonna jamais.

    Les Mémoires pour servir à l’Histoire de madame de Maintenon et à celle du siècle passé forment cinq volumes, publiés à Hambourg ; 1756, in-12. Ils ont pour complément cinq volumes de Lettres de Mme  de Maintenon, imprimées à Glascow, aux dépens des libraires associés, en 1756. (E. B.)

  1. Lauzun est mort le 19 novembre 1723, à quatre-vingt-dix ans.