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à la tête des Romains ; son frère, des Persans ; le prince de Condé, des Turcs ; le duc d’Enghien, son fils, des Indiens ; le duc de Guise, des Américains. Ce duc de Guise était petit-fils du Balafré. Il était célèbre dans le monde par l'audace malheureuse avec laquelle il avait entrepris de se rendre maître de Naples[1]. Sa prison, ses duels, ses amours romanesques, ses profusions, ses aventures, le rendaient singulier en tout. Il semblait être d’un autre siècle. On disait de lui, en le voyant courir avec le grand Condé : « Voilà les héros de l’histoire et de la fable. »

La reine mère, la reine régnante, la reine d’Angleterre, veuve de Charles Ier, oubliant alors ses malheurs, étaient sous un dais à ce spectacle. Le comte de Sault, fils du duc de Lesdiguières, remporta le prix, et le reçut des mains de la reine mère. Ces fêtes ranimèrent plus que jamais le goût des devises et des emblèmes que les tournois avaient mis autrefois à la mode, et qui avaient subsisté après eux.

Un antiquaire, nommé Douvrier[2], imagina dès lors pour Louis XIV l’emblème d’un soleil dardant ses rayons sur un globe, avec ces mots : Nec pluribus impar. L’idée était un peu imitée d’une devise espagnole faite pour Philippe II, et plus convenable à ce roi, qui possédait la plus belle partie du nouveau monde et tant d’États dans l’ancien, qu’à un jeune roi de France qui ne donnait encore que des espérances. Cette devise eut un succès prodigieux. Les armoiries du roi, les meubles de la couronne, les tapisseries, les sculptures, en furent ornés. Le roi ne la porta jamais dans ses carrousels. On a reproché injustement à Louis XIV le faste de cette devise, comme s’il l’avait choisie lui-même ; et elle a été peut-être plus justement critiquée pour le fond. Le corps ne représente pas ce que la légende signifie, et cette légende n’a pas un sens assez clair et assez déterminé. Ce qu’on peut expliquer de plusieurs manières ne mérite d’être expliqué d’aucune. Les devises, ce reste de l’ancienne chevalerie, peuvent convenir à des fêtes, et ont de l’agrément quand les allusions sont justes, nouvelles, et piquantes. Il vaut mieux n’en point avoir que d’en souffrir de mauvaises et de basses, comme celle de Louis XII ; c’était un porc-épic avec ces paroles : « Qui s’y frotte s’y pique. » Les devises sont, par rapport aux inscriptions, ce que sont des mascarades en comparaison des cérémonies augustes.

La fête de Versailles, en 1664, surpassa celle du carrousel,

  1. Voyez au chapitre v.
  2. Mort en 1680.