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qu’au bien du service, ne ménageant pas plus ses soins que sa vie. Les Mémoires du marquis de Feuquières lui reprochent plusieurs fautes dans la défense de la place et de la citadelle ; ils lui en reprochent encore dans la défense de Lille, qui lui a fait tant d’honneur. Ceux qui ont écrit l’histoire de Louis XIV ont copié servilement le marquis de Feuquières pour la guerre, ainsi que l’abbé de Choisy pour les anecdotes. Ils ne pouvaient pas savoir que Feuquières, d’ailleurs excellent officier, et connaissant la guerre par principes et par expérience, était un esprit non moins chagrin qu’éclairé, l’Aristarque et quelquefois le Zoïle des généraux : il altère des faits pour avoir le plaisir de censurer des fautes. Il se plaignait de tout le monde, et tout le monde se plaignait de lui. On disait qu’il était le plus brave homme de l’Europe, parce qu’il dormait au milieu de cent mille de ses ennemis. Sa capacité n’ayant pas été récompensée par le bâton de maréchal de France, il employa trop contre ceux qui servaient l’État des lumières qui eussent été très-utiles s’il eût eu l’esprit aussi conciliant que pénétrant, appliqué, et hardi.

Il reprocha au maréchal de Villeroi plus de fautes, et de plus essentielles qu’à Boufflers. Villeroi, à la tête d’environ quatre-vingt mille hommes, devait secourir Namur ; mais quand même les maréchaux de Villeroi et de Boufflers eussent fait généralement tout ce qui se pouvait faire (ce qui est bien rare), il fallait, par la situation du terrain, que Namur ne fût point secourue, et se rendît tôt ou tard. Les bords de la Méhaigne, couverts d’une armée d’observation qui avait arrêté les secours du roi Guillaume, arrêtèrent alors nécessairement ceux du maréchal de Villeroi.

Le maréchal de Boufflers, le comte de Guiscard, gouverneur de la ville, le comte du Châtelet de Lomont, commandant de l’infanterie, tous les officiers et les soldats défendirent la ville avec une opiniâtreté et une bravoure admirable, mais qui ne recula pas la prise de deux jours. Quand une ville est assiégée par une armée supérieure, que les travaux sont bien conduits, et que la saison est favorable, on sait à peu près en combien de temps elle sera prise, quelque vigoureuse que la défense puisse être. Le roi Guillaume se rendit maître de la ville et de la citadelle, qui lui coûtèrent plus de temps qu’à Louis XIV (septembre 1695)[1].

  1. L’effet de la prise de Namur fut très-grand en Europe. C’était le premier succès considérable de Guillaume sur le continent, et c’était la première fois qu’on enlevait par la force une conquête personnelle à Louis XIV. (G. A.)