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Italie. On se défendit bien en Allemagne sous le maréchal de Lorges. Le duc de Noailles avait quelques succès en Catalogne ; mais en Flandre sous Luxembourg, et en Italie sous Catinat, ce ne fut qu’une suite continuelle de victoires. Ces deux généraux étaient alors les plus estimés en Europe.

Le maréchal duc de Luxembourg avait dans le caractère des traits du grand Condé, dont il était l’élève : un génie ardent, une exécution prompte, un coup d’œil juste, un esprit avide de connaissances, mais vaste et peu réglé ; plongé dans les intrigues des femmes ; toujours amoureux, et même souvent aimé, quoique contrefait et d’un visage peu agréable, ayant plus de qualités d’un héros que d’un sage[1].

[2] Catinat avait dans l’esprit une application et une agilité qui le rendaient capable de tout, sans qu’il se piquât jamais de rien. Il eût été bon ministre, bon chancelier, comme bon général. Il avait commencé par être avocat, et avait quitté cette profession à vingt-trois ans, pour avoir perdu une cause qui était juste. Il prit le parti des armes, et fut d’abord enseigne aux gardes-françaises. En 1667 il fit aux yeux du roi, à l’attaque de la contrescarpe de Lille, une action qui demandait de la tête et du courage. Le roi la remarqua, et ce fut le commencement de sa fortune. Il s’éleva par degrés, sans aucune brigue ; philosophe au milieu de la grandeur et de la guerre, les deux plus grands écueils de la modération ; libre de tous préjugés, et n’ayant point l’affectation de paraître trop les mépriser. La galanterie et le métier de courtisan furent ignorés de lui ; il en cultiva plus l’amitié, et en fut plus honnête homme. Il vécut aussi ennemi de l’intérêt que du faste : philosophe en tout, à sa mort comme dans sa vie.

Catinat commandait alors en Italie. Il avait en tête le duc de Savoie, Victor-Amédée, prince alors sage, politique, et encore plus malheureux ; guerrier plein de courage, conduisant lui-même ses armées, s’exposant en soldat, entendant aussi bien que personne cette guerre de chicane qui se fait sur des terrains cou-

    pondre directement avec le roi sans passer par l’intermédiaire du ministre ; on a toute sa correspondance avec Louvois pendant cette campagne et les suivantes. »

  1. Voyez les Anecdotes à l’article de la Chambre ardente, chapitre xxvi. Il est aujourd’hui généralement regardé par les militaires comme le premier homme de guerre qui ait connu l’art de faire manœuvrer et combattre de grandes armées. (Note de Voltaire.)
  2. On voit, par les Lettres de madame de Maintenon, qu’elle n’aimait pas le maréchal de Catinat. Elle n’espère rien de lui ; elle appelle sa modestie orgueil. Il paraît que le peu de connaissance qu’avait cette dame des affaires et des hommes, et les mauvais choix qu’elle fit, contribuèrent depuis aux malheurs de la France. (Id.)