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ès qu’on eut passé le Rhin on prit Doesbourg, Zutphen, Arnheim, Nosembourg, Nimègue, Schenck, Bommel, Crèvecœur, etc. Il n’y avait guère d’heures dans la journée où le roi ne reçût la nouvelle de quelque conquête. Un officier nommé Mazel mandait à M. de Turenne : « Si vous voulez m’envoyer cinquante chevaux, je pourrai prendre avec cela deux ou trois places. »

(20 juin 1672) Utrecht envoya ses clefs, et capitula avec toute la province qui porte son nom. Louis fit son entrée triomphale dans cette ville (30 juin), menant avec lui son grand aumônier, son confesseur et l’archevêque titulaire d’Utrecht. On rendit avec solennité la grande église aux catholiques. L’archevêque, qui n’en portait que le vain nom, fut pour quelque temps établi dans une dignité réelle[1]. La religion de Louis XIV faisait des conquêtes comme ses armes. C’était un droit qu’il acquérait sur la Hollande dans l’esprit des catholiques.

Les provinces d’Utrecht, d’Over-Issel, de Gueldre, étaient soumises ; Amsterdam n’attendait plus que le moment de son esclavage ou de sa ruine. Les Juifs qui y sont établis s’empressèrent d’offrir à Gourville, intendant et ami du prince de Condé, deux millions de florins pour se racheter du pillage.

Déjà Naerden, voisine d’Amsterdam, était prise. Quatre cavaliers allant en maraude s’avancèrent jusqu’aux portes de Muiden, où sont les écluses qui peuvent inonder le pays, et qui n’est qu’à une lieue d’Amsterdam. Les magistrats de Muiden, éperdus de frayeur, vinrent présenter leurs clefs à ces quatre soldats ; mais enfin, voyant que les troupes ne s’avançaient point, ils reprirent leurs clefs et fermèrent les portes. Un instant de diligence eût mis Amsterdam dans les mains du roi[2]. Cette capitale une fois prise, non-seulement la république périssait, mais il n’y avait plus de nation hollandaise, et bientôt la terre même de ce pays allait disparaître. Les plus riches familles, les plus ardentes pour la liberté, se préparaient à fuir aux extrémités du monde, et à s’embarquer pour Batavia. On fit le dénombrement de tous les vaisseaux qui pouvaient faire ce voyage, et le calcul de ce qu’on

  1. Peu de temps après un de ces archevêques titulaires d’Utrecht, se trouvant par hasard ce qu’on appelait janséniste, se retira dans son diocèse où les jansénistes sont tolérés comme toutes les autres communions chrétiennes. Il se fit élire un successeur par le clergé et le peuple de son Église, suivant l’usage des premiers siècles ; ensuite il le sacra. Au moyen de cette précaution, il s’est établi en Hollande une succession d’évêques jansénistes, qui ne sont, à la vérité, reconnus que dans leur Église. (K.)
  2. C’était le conseil de Condé ; mais Turenne ne voulut pas se dégarnir. (G. A.)