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la république, qu’on devait détruire, étaient déjà partagées par le traité secret entre les cours de France et d’Angleterre, comme en 1635 on avait partagé la Flandre avec les Hollandais. Ainsi on change de vues, d’alliés et d’ennemis, et on est souvent trompé dans tous ses projets. Les bruits de cette entreprise prochaine commençaient à se répandre ; mais l’Europe les écoutait en silence. L’empereur, occupé des séditions de la Hongrie ; la Suède, endormie par des négociations ; l’Espagne, toujours faible, toujours irrésolue, et toujours lente, laissaient une libre carrière à l’ambition de Louis XIV.

La Hollande, pour comble de malheur, était divisée en deux factions : l’une, des républicains rigides à qui toute ombre d’autorité despotique semblait un monstre contraire aux lois de l’humanité ; l’autre, des républicains mitigés, qui voulaient établir dans les charges de ses ancêtres le jeune prince d’Orange, si célèbre depuis sous le nom de Guillaume III. Le grand pensionnaire Jean de Witt, et Corneille son frère, étaient à la tête des partisans austères de la liberté[1] ; mais le parti du jeune prince commençait à prévaloir. La république, plus occupée de ses dissensions domestiques que de son danger, contribuait elle-même à sa ruine.

Des mœurs étonnantes, introduites depuis plus de sept cents ans chez les chrétiens, permettaient que des prêtres fussent seigneurs temporels et guerriers. Louis soudoya l’archevêque de Cologne Maximilien de Bavière, et ce même Van Galen, évêque de Munster, abbé de Corbie[2] en Vestphalie, comme il soudoyait le roi d’Angleterre Charles II. Il avait précédemment secouru les Hollandais contre cet évêque[3], et maintenant il le paye pour les écraser. C’était un homme singulier que l’histoire ne doit point négliger de faire connaître. Fils d’un meurtrier, et né dans la prison où son père fut enfermé quatorze ans, il était parvenu à l’évêché de Munster par des intrigues secondées de la fortune. À peine élu évêque il avait voulu dépouiller la ville de ses privilèges. Elle résista, il l’assiégea ; il mit à feu et à sang le pays qui

    Sidney, avec une somme qui n’aurait pas suffi pour séduire son secrétaire. Il est vraisemblable, ou que Barillon trompait Louis XIV avec ces listes, comme d’autres gens le trompèrent depuis avec des listes de conversion ; ou (ce qui est plus probable encore) que quelque intrigant subalterne trompa Barillon et garda pour lui-même l’argent qu’il prétendait avoir fait accepter à Sidney. (K.)

  1. Jean de Witt avait une liste civile de 3,000 livres par an. (G. A.)
  2. Corwei, en latin Corbeia nova, pour la distinguer de Corbeia vetus, Corbie, en Picardie. (Cl.) — Voyez tome XIII, page 266.
  3. Voyez chapitre vii, page 233.