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DU SIÈCLE DE LOUIS XIV.

Henri IV, et l’abbé de Saint-Pierre, pour appuyer ses idées, prétendait que cette diète europaine avait été approuvée et rédigée par le dauphin, duc de Bourgogne, et qu’on en avait trouvé le plan dans les papiers de ce prince. Il se permettait cette fiction pour mieux faire goûter son projet. Il rapporte, avec bonne foi, la lettre par laquelle le cardinal de Fleury répondit à ses propositions : Vous avez oublié, monsieur, pour article préliminaire, de commencer par envoyer une troupe de missionnaires pour disposer le cœur et l’esprit des princes. » Cependant l’abbé de Saint-Pierre ne laissa pas enfin d’être très-utile. Il travailla beaucoup pour délivrer la France de la tyrannie de la taille arbitraire ; il écrivit et il agit en homme d’État sur cette seule matière. Il fut unanimement exclu de l’Académie française pour avoir, sous la régence du duc d’Orléans, préféré un peu durement, dans sa Polisynodie, l’établissement des conseils, à la manière de gouverner de Louis XIV, protecteur de l’Académie[1]. Ce fut le cardinal de Polignac qui fit une brigue pour l’exclure, et qui en vint à bout. Ce qu’il y a d’étrange, c’est que, dans ce temps-là même, le cardinal de Polignac conspirait contre le régent, et que ce prince, qui donnait un logement au Palais-Royal à Saint-Pierre, et qui avait toute sa famille à son service, souffrit cette exclusion. L’abbé de Saint-Pierre ne se plaignit point. Il continua de vivre en philosophe avec ceux mêmes qui l’avaient exclu. Boyer, ancien évêque de Mirepoix, son confrère, empêcha qu’à sa mort on ne prononçât son éloge à l’Académie, selon la coutume. Ces vaines fleurs qu’on jette sur le tombeau d’un académicien n’ajoutent rien ni à sa réputation ni à son mérite ; mais le refus fut un outrage, et les services que l’abbé de Saint-Pierre avait rendus, sa probité, et sa douceur, méritaient un autre traitement. Il mourut en 1743, âgé de quatre-vingt-six ans. Je lui demandai, quelques jours avant sa mort, comment il regardait ce passage ; il me répondit : « Comme un voyage à la campagne. »

Le traité le plus singulier qu’on trouve dans ses ouvrages est l’anéantissement futur du mahométisme. Il assure qu’un temps viendra où la raison l’emportera chez les hommes sur la supersti-

  1. L’exclusion fut unanime, à une voix près, celle de Fontenelle. Il raconta depuis qu’il avait entendu plus d’une fois un homme de la cour, membre de l’Académie, s’attribuer, devant l’abbé de Saint-Pierre, et devant lui-même, le mérite de cette action de justice.

    L’exemple de l’abbé de Saint-Pierre prouve qu’en France il est également dangereux pour un homme de lettres, qui ne veut que dire la vérité, de soutenir les opinions du gouvernement, ou de les combattre. (K.)