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AVERTISSEMENT.

pété, après Gibbon, que c’est un livre sans plan, un char mal attelé que les chevaux tirent en tous sens, au risque de le faire verser, on a tout dit. On a fait à ses propres yeux preuve d’instruction ; on a obtenu ce qu’on recherche plus que l’instruction : on a loué son propre goût en critiquant un grand écrivain…

« Mais le moyen qu’a pris Voltaire est-il donc si mauvais ? à un récit complexe et continu, où l’on eût échoué à dissimuler le pêle-mêle, il a préféré une suite de tableaux représentant l’un après l’autre tous les grands côtés de la société française sous le règne de Louis XIV. Chaque tableau est un sujet, et chaque sujet provoque un genre de curiosité particulière que Voltaire satisfait. Ce plan-là en vaut un autre ; il était nouveau alors ; il n’a pas cessé d’être bon.

« Je prends pour exemple le tableau des guerres, et, parmi ces guerres, celle de Hollande. Ce que nous demandons à l’historien pour en garder une impression durable, ce sont les causes de la guerre exposées et jugées, la situation des deux peuples qui vont en venir aux mains, leurs chefs, les préparatifs de la lutte, les batailles, et, dans les récits de ces batailles, une stratégie à l’usage de ceux qui ne savent pas la guerre, les traits qui caractérisent le commandement chez les généraux et la manière de se battre chez les soldats, la justice rendue à tous, avec un peu d’inclination pour tout ce qui peut honorer notre nation à ses propres yeux et entretenir parmi nous la tradition de la discipline et du courage. Autant de questions que Voltaire s’est posées et auxquelles il répond.

Je n’empêche pas que, pour montrer les causes de la guerre, on n’analyse longuement les dépêches et qu’on n’entrecoupe le récit par des extraits, — mais alors on fait une histoire diplomatique ; — qu’on ne s’étende sur les dissensions de la Hollande et sur la fin tragique des de Witt, — mais c’est entreprendre sur l’histoire de la Hollande ; — qu’on ne raconte au long les combats qui en peu de jours mettent la Hollande aux abois et la forcent à se noyer pour se sauver, — mais ce sont là des mémoires militaires.

« En attendant, je me contente de ce récit, qui m’en apprend assez sur les causes de la guerre pour que je ne confonde pas cette conquête manquée avec une guerre juste, et l’ambition du roi avec la querelle de la France ; qui, des luttes intérieures de la Hollande, fait ressortir cette triste vérité que l’invasion même ne réconcilie pas les partis ; qui m’intéresse aux deux nations, à la Hollande par la justice et par le respect du faible, à la France par le patriotisme et l’amour de la gloire ; qui, parmi plusieurs portraits d’un dessin aussi juste que brillant, me laisse imprimées dans l’esprit les deux grandes figures royales du siècle, Louis XIV et Guillaume III, esquissées comme certains croquis de grands maîtres dont le crayon ne laisse plus rien à faire au pinceau.

« Dans un second tableau, d’un genre tout différent, Voltaire nous peint la France sortant, sous le souffle puissant de Louis XIV, du chaos de la Fronde.

« Je suppose un lecteur qui connaît en gros les principaux traits de cette époque : l’œuvre de Richelieu attaquée et près de périr ; un parlement qui veut régir l’état, et ne rend pas la justice ; un Condé, un Turenne, menant