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CHAPITRE CXCVI.

Méaco ; ils furent chassés, et la persécution redoubla. Il y eut longtemps des alternatives de cruauté et d’indulgence. Il est évident que la raison d’État fut la seule cause des persécutions, et qu’on ne se déclara contre la religion chrétienne que par la crainte de la voir servir d’instrument aux entreprises des Espagnols ; car jamais on ne persécuta au Japon la religion de Confucius, quoique apportée par un peuple dont les Japonais sont jaloux, et auquel ils ont souvent fait la guerre.

Le savant et judicieux observateur Kempfer, qui a si longtemps été sur les lieux, nous dit que, l’an 1674, on fit le dénombrement des habitants de Méaco. Il y avait douze religions dans cette capitale, qui vivaient toutes en paix ; et ces douze sectes composaient plus de quatre cent mille habitants, sans compter la cour nombreuse du daïri, souverain pontife. Il paraît que si les Portugais et les Espagnols s’étaient contentés de la liberté de conscience, ils auraient été aussi paisibles dans le Japon que ces douze religions. Ils y faisaient encore en 1636 le commerce le plus avantageux ; Kempfer dit qu’ils en rapportèrent à Macao deux mille trois cent cinquante caisses d’argent.

Les Hollandais, qui trafiquaient au Japon depuis 1600, étaient jaloux du commerce des Espagnols. Ils prirent en 1637, vers le cap de Bonne-Espérance, un vaisseau espagnol qui faisait voile du Japon à Lisbonne : ils y trouvèrent des lettres d’un officier portugais, nommé Moro, espèce de consul de la nation : ces lettres renfermaient le plan d’une conspiration des chrétiens du Japon contre l’empereur ; on spécifiait le nombre des vaisseaux et des soldats qu’on attendait de l’Europe et des établissements d’Asie, pour faire réussir le projet. Les lettres furent envoyées à la cour du Japon : Moro reconnut son crime, et fut brûlé publiquement.

Alors le gouvernement aima mieux renoncer à tout commerce avec les étrangers que se voir exposé à de telles entreprises. L’empereur Jemitz, dans une assemblée de tous les grands, porta ce fameux édit, que désormais aucun Japonais ne pourrait sortir du pays, sous peine de mort ; qu’aucun étranger ne serait reçu dans l’empire ; que tous les Espagnols ou Portugais seraient renvoyés, que tous les chrétiens du pays seraient mis en prison, et qu’on donnerait environ mille écus à quiconque découvrirait un prêtre chrétien. Ce parti extrême de se séparer tout d’un coup du reste du monde, et de renoncer à tous les avantages du commerce, ne permet pas de douter que la conspiration n’ait été véritable ; mais ce qui rend la preuve complète, c’est qu’en effet les chrétiens du pays, avec quelques Portugais à leur tête, s’assemblèrent en armes