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DE L’EMPIRE OTTOMAN AU XVIIe SIÈCLE.

chées, suivi de la noblesse de France ; mais un magasin de poudre et de grenades ayant sauté dans ces tranchées, tout le fruit de cette action fut perdu. Les Français, croyant marcher sur un terrain miné, se retirèrent en désordre poursuivis par les Turcs, et le duc de Beaufort fut tué dans cette action avec beaucoup d’officiers français.

Louis XIV, allié de l’empire ottoman, secourut ainsi ouvertement Venise, et ensuite l’Allemagne contre cet empire, sans que les Turcs parussent en avoir beaucoup de ressentiment. On ne sait point pourquoi ce monarque rappela bientôt après ses troupes de Candie. Le duc de Navailles, qui les commandait après la mort du duc de Beaufort, était persuadé que la place ne pouvait plus tenir contre les Turcs. Le capitaine général, Francesco Morosini, qui soutint si longtemps ce fameux siége, pouvait abandonner des ruines sans capituler, et se retirer par la mer dont il fut toujours le maître ; mais en capitulant il conservait encore quelques places dans l’île à la république, et la capitulation était un traité de paix. Le vizir Achmet Cuprogli mettait toute sa gloire et celle de l’empire ottoman à prendre Candie.

(Sept. 1669) Ce vizir et Morosini firent donc la paix, dont le prix fut la ville de Candie réduite en cendres, et où il ne resta qu’une vingtaine de chrétiens malades. Jamais les chrétiens ne firent avec les Turcs de capitulation plus honorable ni de mieux observée par les vainqueurs. Il fut permis à Morosini de faire embarquer tout le canon amené à Candie pendant la guerre. Le vizir prêta des chaloupes pour conduire des citoyens qui ne pouvaient trouver place sur les vaisseaux vénitiens. Il donna cinq cents sequins au bourgeois qui lui présenta les clefs, et deux cents à chacun de ceux qui l’accompagnaient. Les Turcs et les Vénitiens se visitèrent comme des peuples amis jusqu’au jour de l’embarquement.

Le vainqueur de Candie, Cuprogli, était un des meilleurs généraux de l’Europe, un des plus grands ministres, et en même temps juste et humain. Il acquit une gloire immortelle dans cette longue guerre, où, de l’aveu des Turcs, il périt deux cent mille de leurs soldats.

Les Morosini (car il y en avait quatre de ce nom dans la ville assiégée), les Cornaro, les Gustiniani, les Benzoni, le marquis de Montbrun-Saint-André, le marquis de Frontenac, rendirent leurs noms célèbres dans l’Europe. Ce n’est pas sans raison qu’on a comparé cette guerre à celle de Troie. Le grand-vizir avait un Grec auprès de lui qui mérita le surnom d’Ulysse ; il s’appelait