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DU PARLEMENT DE PARIS JUSQU’À CHARLES VII.

faire noyer la régente de Hongrie Élisabeth, coupable du meurtre du roi Charles de Durazzo.

Le jugement du parlement contre le dauphin était d’une autre espèce ; il n’était que l’organe d’une force supérieure. On n’avait point procédé contre Jean, duc de Bourgogne, quand il assassina le duc d’Orléans ; et on procéda contre le dauphin pour venger le meurtre d’un meurtrier.

On doit se souvenir, en lisant la déplorable histoire de ce temps-là, qu’après le fameux traité de Troyes, qui donna la France au roi Henri V d’Angleterre, il y eut deux parlements à la fois, comme on en vit deux du temps de la Ligue, près de deux cents ans après ; mais tout était double dans la subversion qui arriva sous Charles VI ; il y avait deux rois, deux reines, deux parlements, deux universités de Paris ; et chaque parti avait ses maréchaux et ses grands officiers.

J’observe encore que, dans ces siècles, quand il fallait faire le procès à un pair du royaume, le roi était obligé de présider au jugement. Charles VII, la dernière année de sa vie, fut lui-même, selon cette coutume, à la tête des juges qui condamnèrent le duc d’Alençon : coutume qui parut depuis indigne de la justice et de la majesté royale, puisque la présence du souverain semblait gêner les suffrages, et que, dans une affaire criminelle, cette même présence, qui ne doit annoncer que des grâces, pouvait commander les rigueurs.

Enfin je remarque que, pour juger un pair, il était essentiel d’assembler des pairs. Ils étaient ses juges naturels. Charles VII y ajouta des grands officiers de la couronne dans l’affaire du duc d’Alençon ; il fit plus, il admit dans cette assemblée des trésoriers de France, avec les députés laïques du parlement. Ainsi tout change. L’histoire des usages, des lois, des priviléges, n’est en beaucoup de pays, et surtout en France, qu’un tableau mouvant.

C’est donc une idée bien vaine, un travail bien ingrat, de vouloir tout rappeler aux usages antiques, et de vouloir fixer cette roue que le temps fait tourner d’un mouvement irrésistible. À quelle époque faudrait-il avoir recours ? est-ce à celle où le mot de parlement signifiait une assemblée de capitaines francs, qui venaient en plein champ régler, au premier de mars, les partages des dépouilles ? est-ce à celle où tous les évêques avaient droit de séance dans une cour de judicature, nommée aussi parlement ? À quel siècle, à quelles lois faudrait-il remonter ? à quel usage s’en tenir ? Un bourgeois de Rome serait aussi bien fondé à demander au pape des consuls, des tribuns, un sénat, des comices, et le