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CHAPITRE LXXXV.

Ce nouveau parlement s’assemblait d’abord deux fois l’an. On changeait souvent les membres de cette cour de justice, et le roi les payait de son trésor pour chacune de leurs séances.

On appela ces parlements cours souveraines : le président s’appelait le souverain du corps, ce qui ne voulait dire que le chef. Témoin ces mots exprès de l’ordonnance de Philippe le Bel : « Que nul maître ne s’absente de la chambre sans le congé de son souverain. » Je dois encore remarquer qu’il n’était pas permis d’abord de plaider par procureur : il fallait venir ester à droit soi-même, à moins d’une dispense expresse du roi.

Si les prélats avaient conservé leur droit d’assister aux séances de cette compagnie toujours subsistante, elle eût pu devenir à la longue une assemblée d’états généraux perpétuelle. Les évêques en furent exclus sous Philippe le Long, en 1320. Ils avaient d’abord présidé, au parlement, et précédé le chancelier. Le premier laïque qui présida dans cette compagnie par ordre du roi, en 1320, fut un haut-baron, comte de Boulogne, possédant les droits régaliens, en un mot un prince. Tous les hommes de loi ne prirent que le titre de conseiller jusque vers l’an 1350. Ensuite les jurisconsultes étant devenus présidents, ils portèrent le manteau de cérémonie des chevaliers. Ils eurent les priviléges de la noblesse : on les appela souvent chevaliers ès lois. Mais les nobles de nom et d’armes affectèrent toujours de mépriser cette noblesse paisible. Les descendants des hommes de loi ne sont point encore reçus dans les chapitres d’Allemagne. C’est un reste de l’ancienne barbarie d’attacher de l’avilissement à la plus belle fonction de l’humanité, celle de rendre la justice.

On objecte que ce n’est pas la fonction de rendre la justice qui les avilissait, puisque les pairs et les rois la rendaient, mais que des hommes nés dans une condition servile, introduits d’abord au parlement de Paris pour instruire les procès, et non pour donner leurs voix, et ayant prétendu depuis les droits de la noblesse, à qui seule il appartenait de juger la nation, ne devaient pas partager avec cette noblesse des honneurs incommunicables. Le célèbre Fénelon, archevêque de Cambrai, dans une lettre à notre Académie française, nous écrit que pour être digne de faire l’histoire de France il faut être versé dans nos anciens usages ; qu’il faut savoir, par exemple, que les conseillers du parlement furent originairement des serfs qui avaient étudié nos lois, et qui conseillaient les nobles dans la cour du parlement. Cela peut être vrai de quelques-uns élevés ci cet honneur par le mérite ; mais il est plus vrai encore que la plupart n’étaient point serfs.