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CHAPITRE LXXXII.

bergers de la Calabre : dans les temps de solennités, ils représentent la naissance et la mort de Jésus-Christ. La populace des nations septentrionales adopta aussi bientôt ces usages. On a depuis traité ces sujets avec plus de dignité. Nous en voyons de nos jours des exemples dans ces petits opéras qu’on appelle oratorio ; et enfin les Français ont mis sur la scène des chefs-d’œuvre tirés de l’Ancien Testament.

Les confrères de la Passion en France, vers le xvie siècle[1], firent paraître Jésus-Christ sur la scène. Si la langue française avait été alors aussi majestueuse qu’elle était naïve et grossière, si parmi tant d’hommes ignorants et lourds il s’était trouvé un homme de génie, il est à croire que la mort d’un juste persécuté par des prêtres juifs, et condamné par un préteur romain, eût pu fournir un ouvrage sublime ; mais il eut fallu un temps éclairé, et dans ce temps éclairé on n’eût pas permis ces représentations.

Les beaux-arts n’étaient pas tombés dans l’Orient ; et puisque les poésies du Persan Sadi sont encore aujourd’hui dans la bouche des Persans, des Turcs et des Arabes, il faut bien qu’elles aient du mérite. Il était contemporain de Pétrarque, et il a autant de réputation que lui. Il est vrai qu’en général le bon goût n’a guère été le partage des Orientaux. Leurs ouvrages ressemblent aux titres de leurs souverains, dans lesquels il est souvent question du soleil et de la lune. L’esprit de servitude paraît naturellement ampoulé, comme celui de la liberté est nerveux, et celui de la vraie grandeur est simple. Les Orientaux n’ont point de délicatesse, parce que les femmes ne sont point admises dans la société. Ils n’ont ni ordre, ni méthode, parce que chacun s’abandonne à son imagination dans la solitude où ils passent une partie de leur vie, et que l’imagination par elle-même est déréglée. Ils n’ont jamais connu la véritable éloquence, telle que celle de Démosthène et de Cicéron. Qui aurait-on eu à persuader en Orient ? des esclaves. Cependant ils ont de beaux éclats de lumière ; ils peignent avec la parole, et quoique les figures soient souvent gigantesques et incohérentes, on y trouve du sublime. Vous aimerez peut-être à revoir[2] ici ce passage de Sadi que j’avais traduit en vers blancs, et qui ressemble à quelques passages des prophètes hébreux. C’est

  1. C’est au xvie siècle que finirent, et non que commencèrent les représentations des confrères de la Passion.
  2. Avant d’être produits dans cet ouvrage, où ils sont depuis 1756, les vers imités de Sadi avaient été imprimés en 1753 à la tête des Annales de l’Empire, dans la Lettre à M***, professeur d’histoire : voyez cette lettre dans les Mélanges, année 1753.