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CHAPITRE CLXXV.

la première place que le cardinal de La Rochefoucauld occupait, ni le premier crédit que La Vieuville conserva quelque temps encore ; point de département, point de supériorité sur les autres ; il se bornait, dit la reine Marie de Médicis, dans une lettre au roi son fils, à entrer quelquefois au conseil. C’est ainsi que se passèrent les premiers mois de son introduction dans le ministère.

Je sais, encore une fois, combien toutes ces petites particularités sont indignes par elles-mêmes d’arrêter vos regards : elles doivent être anéanties sous les grands événements : mais ici elles sont nécessaires pour détruire ce préjugé qui a subsisté si longtemps dans le public que le cardinal de Richelieu fut premier ministre et maître absolu dès qu’il fut dans le conseil. C’est ce préjugé qui fait dire à l’imposteur auteur du Testament politique : « Lorsque Votre Majesté résolut de me donner en même temps l’entrée de ses conseils, et grande part dans sa confiance, je lui promis d’employer mes soins pour rabaisser l’orgueil des grands, ruiner les huguenots, et relever son nom dans les nations étrangères. »

Il est manifeste que le cardinal de Richelieu n’a pu parler ainsi, puisqu’il n’eut point d’abord la confiance du roi. Je n’insiste pas sur l’imprudence d’un ministre qui aurait débuté par dire à son maître : « Je relèverai votre nom » , et par lui faire sentir que ce nom était avili. Je n’entre point ici dans la multitude des raisons invincibles qui prouvent que le Testament politique attribué au cardinal de Richelieu n’est et ne peut être de lui ; et je reviens à son ministère.

Ce qu’on a dit depuis à l’occasion de son mausolée élevé dans la Sorbonne, magnum disputandi argumentum, est le vrai caractère de son génie et de ses actions. Il est très-difficile de connaître un homme dont ses flatteurs ont dit tant de bien, et ses ennemis tant de mal. Il eut à combattre la maison d’Autriche, les calvinistes, les grands du royaume, la reine mère sa bienfaitrice, le frère du roi, la reine régnante, dont il osa être l’amant, enfin le roi lui-même, auquel il fut toujours nécessaire et souvent odieux. Il était impossible qu’on ne cherchât pas à le décrier par des libelles ; il y faisait répondre par des panégyriques. Il ne faut croire ni les uns ni les autres, mais se représenter les faits.

Pour être sûr des faits, autant qu’on le peut, on doit discerner les livres. Que penser, par exemple, de l’écrivain de la Vie du P. Joseph, qui rapporte une lettre du cardinal à ce fameux capucin, écrite, dit-il, immédiatement après son entrée dans le conseil ? « Comme vous êtes le principal agent dont Dica s’est servi pour