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DE LA FRANCE SOUS LOUIS XIII.

donnait trop de convulsions au corps ; et Louis XIII, n’ayant pas cette force d’esprit de son père, qui retenait les protestants dans le devoir, crut pouvoir ne les réduire que par la force des armes. Il marcha donc encore contre eux dans les provinces au delà de la Loire, à la tête d’une petite armée d’environ treize à quatorze mille hommes. Quelques autres corps de troupes étaient répandus dans ces provinces. Le dérangement des finances ne permettait pas des armées plus considérables, et les huguenots ne pouvaient en opposer de plus fortes.

(1622) Soubise, frère du duc de Rohan, se retranche avec huit mille hommes dans l’île de Riès, séparée du bas Poitou par un petit bras de mer. Le roi y passe à la tête de son armée, à la faveur du reflux, défait entièrement les ennemis, et force Soubise à se retirer en Angleterre. On ne pouvait montrer plus d’intrépidité, ni remporter une victoire plus complète. Ce prince n’avait guère d’autre faiblesse que celle d’être gouverné dans sa maison, dans son État, dans ses affaires, dans ses moindres occupations : cette faiblesse le rendit malheureux toute sa vie. À l’égard de sa victoire, elle ne servit qu’à faire trouver aux chefs calvinistes de nouvelles ressources.

On négociait encore plus qu’on ne se battait, ainsi que du temps de la Ligue et dans toutes les guerres civiles. Plus d’un seigneur rebelle, condamné par un parlement au dernier supplice, obtenait des récompenses et des honneurs, tandis qu’on l’exécutait en effigie. C’est ce qui arriva au marquis de La Force, qui avait chassé l’armée royale devant Montauban, et qui tenait encore la campagne contre le roi : il eut deux cent mille écus et le bâton de maréchal de France. Les plus grands services n’eussent pas été mieux payés que sa soumission fut achetée. Châtillon, ce petit-fils de l’amiral Coligny, vendit au roi la ville d’Aigues-Mortes, et fut aussi maréchal. Plusieurs firent acheter ainsi leur obéissance ; le seul Lesdiguières vendit sa religion. Fortifié alors dans le Dauphiné, et y faisant encore profession du calvinisme, il se laissait ouvertement solliciter par les huguenots de revenir à leur parti, et laissait craindre au roi qu’il ne rentrât dans la faction.

(1622) On proposa dans le conseil de le tuer ou de le faire connétable : le roi prit ce dernier parti, et alors Lesdiguières devint en un instant catholique ; il fallait l’être pour être connétable, et non pas pour être maréchal de France : tel était l’usage. L’épée de connétable aurait pu être dans les mains d’un huguenot, comme la surintendance des finances y avait été si longtemps ; mais il ne fallait pas que le chef des armées et des conseils pro-