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DE HENRI IV.

Tel était l’esprit de la Ligue, tel l’esprit monacal, tel l’abus exécrable de la religion si mal entendue, et tel a subsisté cet abus jusqu’à ces derniers temps.

On a vu encore de nos jours un jésuite, nommé La Croix, théologien de Cologne, réimprimer et commenter je ne sais quel ouvrage d’un ancien jésuite nommé Busembaum[1] ; ouvrage qui eût été aussi ignoré que son auteur et son commentateur si on n’y avait pas déterré par hasard la doctrine la plus monstrueuse de l’homicide et du régicide.

Il est dit dans ce livre qu’un homme proscrit par un prince ne peut être assassiné légitimement que dans le territoire du prince ; mais qu’un souverain proscrit par le pape doit être assassiné partout, parce que le pape est souverain de l’univers, et qu’un homme chargé de tuer un excommunié, quel qu’il soit, peut donner cette commission à un autre, et que c’est un acte de charité d’accepter cette commission.

Il est vrai que les parlements ont condamné ce livre abominable ; il est vrai que les jésuites de France ont détesté publiquement ces propositions ; mais enfin ce livre, nouvellement réimprimé avec des additions, prouve assez que ces maximes infernales ont été longtemps gravées dans plus d’une tête ; que ces maximes mêmes ont été regardées comme sacrées, comme des points de religion ; et que par conséquent les lois ne pouvaient s’élever avec trop de rigueur contre les docteurs du régicide.

(14 mai 1610, à 4 heures du soir) Henri IV fut enfin la victime de cette étrange théologie chrétienne. Ravaillac avait été quelque temps feuillant, et son esprit était encore échauffé de tout ce qu’il avait entendu dans sa jeunesse. Jamais, dans aucun siècle, la superstition n’a produit de pareils effets. Ce malheureux crut, précisément comme Jean Châtel, qu’il apaiserait la justice divine en tuant Henri IV. Le peuple disait que ce roi allait faire la guerre au pape, parce qu’il allait secourir les protestants d’Allemagne. L’Allemagne était divisée par deux ligues, dont l’une

  1. La Medulla Theologiœ moralis, dont la première édition est de 1645, ne formait alors qu’un volume in-12. La 45e édition, Lisbonne, 1670, est in-8o. Claude Lacroix, mort en 1714, laissa un commentaire qui parut à Cologne, 1719, deux volumes in-folio, réimprimés par les soins du P. Montausan, Lyon, 1729, 2 volumes in-folio, auxquels, en 1757, on mit de nouveaux frontispices. Un arrêt du parlement de Toulouse, du 9 septembre 1757, fit brûler l’ouvrage, que les jésuites désavouèrent. Le parlement de Paris le condamna aussi. L’alinéa où Voltaire en parle, les trois qui le précèdent, et les deux qui le suivent, ont été ajoutés en 1761. Voltaire avait déjà parlé de Busembaum et de Lacroix dans sa Relation de la maladie, etc., du jésuite Berthier. Voyez les Mélanges, année 1759. (B.)