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DE HENRI IV.

C’est une chose bien déplorable que la même religion qui ordonne, aussi bien que tant d’autres, le pardon des injures, ait fait commettre depuis longtemps tant de meurtres, et cela en vertu de cette seule maxime, que quiconque ne pense pas comme nous est réprouvé, et qu’il faut avoir les réprouvés en horreur.

Ce qui est encore plus étrange, c’est que des catholiques conspirèrent contre les jours de ce bon roi depuis qu’il fut catholique. Le premier qui voulut attenter à sa vie, dans le temps même qu’il faisait son abjuration dans Saint-Denis, fut un malheureux de la lie du peuple, nommé Pierre Barrière (27 août 1593). Il eut quelque scrupule quand le roi eut abjuré ; mais il fut confirmé dans son dessein par le plus furieux des ligueurs, Aubry, curé de Saint-André des Arcs ; par un capucin, par un prêtre habitué, et par Varade, recteur du collége des jésuites. Le célèbre Étienne Pasquier, avocat général de la chambre des comptes, proteste qu’il a su de la bouche même de ce Barrière que Varade l’avait encouragé à ce crime. Cette accusation reçoit un nouveau degré de probabilité par la fuite de Varade et du curé Aubry, qui se réfugièrent chez le cardinal légat, et l’accompagnèrent dans son retour à Rome, quand Henri IV entra dans Paris ; et enfin ce qui rend la probabilité encore plus forte, c’est que Varade et Aubry furent depuis écartelés en effigie (25 janvier 1595), par un arrêt du parlement de Paris, comme il est rapporté dans le journal de Henri IV. Daniel fait des efforts pardonnables pour disculper le jésuite Varade : les curés n’en font aucun pour justifier les fureurs des curés de ce temps-là. La Sorbonne avoue les décrets punissables qu’elle donna ; les dominicains conviennent aujourd’hui que leur confrère Clément assassina Henri III, et qu’il fut exhorté à ce parricide par le prieur Bourgoin. La vérité l’emporte sur tous les égards, et cette même vérité prononce qu’aucun des ecclésiastiques d’aujourd’hui ne doit ni répondre ni rougir des maximes sanguinaires et de la superstition barbare de ses prédécesseurs, puisqu’il n’en est aucun qui ne les abhorre ; elle conserve seulement les monuments de ces crimes, afin qu’ils ne soient jamais imités[1].

  1. M. de Voltaire connaissait mieux que personne la liaison étroite et nécessaire qui existe entre ces maximes séditieuses et celle de l’intolérance religieuse ; mais il fait ici au clergé de France, à la Sorbonne, aux jacobins, l’honneur de croire qu’ils les ont également abjurées.

    Il n’est peut-être pas inutile d’observer que dans les ouvrages où les curés de Paris reprochèrent aux jésuites la doctrine de l’homicide, ils avancèrent que l’assassinat n’est permis que dans le cas d’une révélation particulière, et que le droit de vie et de mort est le plus illustre avantage des souverains ; le génie de Pascal s’abaissait à mettre en bon français ces maximes non moins insensées qu’abominables.

    Observons encore qu’avant les troubles religieux du XVIe siècle, les papes et le clergé exhortaient les princes à employer les supplices contre les novateurs, sous prétexte que de l’indépendance religieuse on voudrait passer à l’indépendance politique. Quelques années après, ils enseignèrent aux sujets à se révolter contre les princes hérétiques ou excommuniés. Maintenant ils sont revenus à la première maxime, qu’ils cherchent à faire valoir contre les libres penseurs ; nous laissons aux princes à tirer la conséquence, et à juger quelle confiance ils doivent avoir à une société d’hommes qui prêche tour à tour le pour et le contre, et n’a été constante que dans les principes qui font un devoir de conscience d’employer la guerre ou les supplices pour maintenir son autorité. ( K.)