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CHAPITRE CLXXIV.

est nécessaire, lui disait Rosny, que vous soyez papiste, et que je demeure réformé. » C’était tout ce que craignaient les factions de la Ligue et de l’Espagne. Les noms d’hérétique et de relaps étaient leurs principales armes, que sa conversion rendait impuissantes. Il fallut qu’il se fit instruire, mais pour la forme : car il était plus instruit en effet que les évêques avec lesquels il conféra. Nourri par sa mère dans la lecture de l’Ancien et du Nouveau Testament, il les possédait tous deux. La controverse était, dans son parti, le sujet de toutes les conversations aussi bien que la guerre et l’amour. Les citations de l’Écriture, les allusions à ces livres, entraient dans ce qu’on appelait le bel esprit en ces temps-là ; et la Bible était si familière à Henri IV qu’à la bataille de Coutras il avait dit, en faisant prisonnier de sa main un officier nommé Châteaurenard : « Rends-toi, Philistin. »

On voit assez ce qu’il pensait de sa conversion, par sa lettre (24 juillet 1593) à Gabrielle d’Estrées : « C’est demain que je fais le saut périlleux. Je crois que ces gens-ci me feront haïr Saint-Denis autant que vous haïssez Monceaux... » C’est immoler la vérité à de très-fausses bienséances de prétendre, comme le jésuite Daniel, que quand Henri IV se convertit il était dès longtemps catholique dans le cœur. Sa conversion assurait sans doute son salut, je le veux croire ; mais il paraît bien que l’amant de Gabrielle ne se convertit que pour régner ; et il est encore plus évident que ce changement n’augmentait en rien son droit à la couronne.

Il avait alors auprès de lui un envoyé secret de la reine Élisabeth, nommé Thomas Vilquési, qui écrivit ces propres mots, quelque temps après, à la reine sa maîtresse.

« Voici comme ce prince s’excuse sur son changement de religion, et les paroles qu’il m’a dites[1] : « Quand je fus appelé à la couronne, huit cents gentilshommes et neuf régiments se retirèrent de mon service, sous prétexte que j’étais hérétique. Les ligueurs se sont hâtés d’élire un roi ; les plus notables se sont offerts au duc de Guise. C’est pourquoi je me suis résolu, après mûre délibération, d’embrasser la religion romaine : par ce moyen je me suis entièrement adjoint le tiers parti ; j’ai anticipé l’élection du duc de Guise ; je me suis acquis la bonne volonté du peuple français ; j’ai eu parole du duc de Florence en choses importantes ; j’ai finalement empêché que la religion réformée n’ait été flétrie. »

  1. Tiré du troisième tome des manuscrits de Bèze, n° viii. (Note de Voltaire.)