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CHAPITRE CLXXIV.

assiége Paris, où il restait alors deux cent vingt mille habitants. Il est constant qu’il l’eût pris par famine, s’il n’avait pas permis lui-même, par trop de pitié, que les assiégeants nourrissent les assiégés. En vain ses généraux publiaient sous ses ordres des défenses, sous peine de mort, de fournir des vivres aux Parisiens ; les soldats eux-mêmes leur en vendaient. Un jour que, pour faire un exemple, on allait pendre deux paysans qui avaient amené des charrettes de pain à une poterne, Henri les rencontra en allant visiter ses quartiers : ils se jetèrent à ses genoux, et lui remontrèrent qu’ils n’avaient que cette manière pour gagner leur vie : Allez en paix, leur dit le roi, en leur donnant aussitôt l’argent qu’il avait sur lui. « Le Béarnais est pauvre, ajouta-t-il ; s’il avait davantage, il vous le donnerait. » Un cœur bien né ne peut lire de pareils traits sans quelques larmes d’admiration et de tendresse.

Pendant qu’il pressait Paris, les moines armés faisaient des processions, le mousquet et le crucifix à la main, et la cuirasse sur le dos. Le parlement (juin 1590), les cours supérieures, les citoyens, faisaient serment sur l’Évangile, en présence du légat et de l’ambassadeur d’Espagne, de ne le point recevoir ; mais enfin les vivres manquent, la famine fait sentir ses plus cruelles extrémités.

Le duc de Parme est envoyé par Philippe II au secours de Paris avec une puissante armée : Henri IV court lui présenter la bataille. Qui ne connaît cette lettre qu’il écrivit du champ où il croyait combattre à cette Gabrielle d’Estrées, rendue célèbre par lui : « Si je meurs, ma dernière pensée sera à Dieu, et l’avant-dernière à vous (octobre 1590) » ? Le duc de Parme n’accepta point la bataille ; il n’était venu que pour secourir Paris, et pour rendre la Ligue plus dépendante du roi d’Espagne. Assiéger cette grande ville avec si peu de monde, devant une armée supérieure, était une chose impossible : voilà donc encore sa fortune retardée et ses victoires inutiles. Du moins il empêche le duc de Parme de faire des conquêtes, et, le côtoyant jusqu’aux dernières frontières de la Picardie, il le fit rentrer en Flandre.

À peine est-il délivré de cet ennemi que le pape Grégoire XIV, Sfondrat, emploie une partie des trésors amassés par Sixte-Quint à envoyer des troupes à la Ligue, Le jésuite Jouvency avoue dans son histoire que le jésuite Nigry, supérieur des novices de Paris, rassembla tous les novices de cet ordre en France, et qu’il les conduisit jusqu’à Verdun au-devant de l’armée du pape ; qu’il les enrégimenta, et qu’il les incorpora à cette armée, laquelle ne