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CHAPITRE CLXXIII.

deux conseillers, Courtin et Michon, qui instruisent le procès criminel contre Henri de Valois, ci-devant roi de France et de Pologne. Voyez l’Histoire du Parlement, où ce fait est discuté (chapitres xxx et xxxi).

Ce roi s’était conduit avec tant d’aveuglement qu’il n’avait point encore d’armée : il envoyait Sancy négocier des soldats chez les Suisses, et il avait la bassesse d’écrire au duc de Mayenne, déjà chef de la Ligue, pour le prier d’oublier l’assassinat de son frère. Il lui faisait parler par le nonce du pape, et Mayenne répondait au nonce : « Je ne pardonnerai jamais à ce misérable. » Les lettres qui rendent compte de cette négociation sont encore aujourd’hui à Rome.

Enfin le roi est obligé d’avoir recours à ce Henri de Navarre, son vainqueur et son successeur légitime, qu’il eût dû dès le commencement de la Ligue prendre pour son appui, non-seulement comme le seul intéressé au maintien de la monarchie, mais comme un prince dont il connaissait la franchise, dont l’âme était au-dessus de son siècle, et qui n’aurait jamais abusé de son droit d’héritier présomptif.

Avec le secours du Navarrois, avec les efforts de son parti, il a une armée. Les deux rois arrivent devant Paris. Je ne répéterai pas ici[1] comment Paris fut délivré par le meurtre de Henri III. Je remarquerai seulement avec le président de Thou que, quand le dominicain Jacques Clément, prêtre fanatique, encouragé par son prieur Dourgoin, par son couvent, par l’esprit de la Ligue, et muni des sacrements, vint demander audience pour l’assassiner (1589), le roi sentit de la joie en le voyant, et qu’il disait que son cœur s’épanouissait toutes les fois qu’il voyait un moine. Je ne vous fatiguerai point de détails si connus, ni de tout ce qu’on fit à Paris et à Rome[2] : je ne dirai point avec quel zèle on mit sur les autels de Paris le portrait du parricide ; qu’on tira le canon à Rome ; qu’on y prononça l’éloge du moine ; mais il faut observer que dans l’opinion du peuple ce misérable était un saint et un martyr : il avait délivré le peuple de Dieu du tyran persécuteur, à qui on ne donnait d’autre nom que celui d’Hérode. Ce n’est pas que Henri III, roi de France, eût la moindre ressemblance avec ce petit roi de la Palestine ; mais le bas peuple, toujours sot et barbare, ayant ouï dire qu’Hérode avait fait égorger tous les petits enfants d’un pays, donnait ce nom à Henri III. Clément était à ses yeux un homme inspiré ; il s’était offert à une mort inévitable ;

  1. Voyez les notes du chant V de la Henriade, tome VIII.
  2. Voyez l’Essai sur les Guerres civiles de France, tome VIII.