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DE LA FRANCE SOUS HENRI III.

Les gentilshommes nommés les quarante-cinq, qui assassinèrent le duc de Guise, étaient une compagnie nouvelle, formée par le duc d’Épernon, payée au trésor royal sur les billets de ce duc, et aucun de leurs noms ne se trouve parmi les gentilshommes de la chambre.

Lognac, Saint-Capautet, Alfrenas, Herbelade, et leurs compagnons, étaient de pauvres gentilshommes gascons que d’Épernon avait fournis au roi, des gens de main, des gens de service, comme on les appelait alors. Chaque prince, chaque grand seigneur en avait auprès de lui dans ces temps de troubles. C’était par des hommes de cette espèce que la maison de Guise avait fait assassiner Saint-Mégrin, l’un des favoris de Henri III. Ces mœurs étaient bien différentes de la noble démence de l’ancienne chevalerie, et de ces temps d’une barbarie plus généreuse, dans lesquels on terminait ses différends en champ clos, à armes égales.

Tel est le pouvoir de l’opinion chez les hommes que les mêmes assassins qui n’avaient fait nul scrupule de tuer en lâches le duc de Guise refusèrent de tremper leurs mains dans le sang du cardinal son frère. Il fallut chercher quatre soldats du régiment des gardes, qui le massacrèrent dans le même château à coups de hallebarde. Il se passa deux jours entre la mort des deux frères : c’est une preuve invincible que le roi aurait eu le temps de se couvrir de quelques apparences d’une forme de justice précipitée.

Non-seulement il n’eut pas l’art de prendre ce masque nécessaire, mais il se manqua encore à lui-même en ne courant pas dans l’instant à Paris avec ses troupes. Il eut beau dire à la reine Catherine, sa mère, qu’il avait pris toutes ses mesures, il n’en avait pris que pour se venger, et non pour régner. Il restait dans Blois, inutilement occupé à examiner les cahiers des états, tandis que Paris, Orléans, Rouen, Dijon, Lyon, Toulouse, se soulèvent presque en même temps, comme de concert. On ne le regarde plus que comme un assassin et un parjure. Le pape l’excommunie ; cette excommunication, qui eût été méprisée en d’autres temps, devient terrible alors, parce qu’elle se joint aux cris de la vengeance publique, et paraît réunir Dieu et les hommes. Soixante et dix docteurs assemblés en Sorbonne le déclarent déchu du trône (1589), et ses sujets déliés du serment de fidélité. Les prêtres refusent l’absolution aux pénitents qui le reconnaissent pour roi. La faction des Seize emprisonne à la Bastille les membres du parlement affectionnés à la monarchie. La veuve du duc de Guise vient demander justice du meurtre de son époux et de son beau-frère. Le parlement, à la requête du procureur général, nomme