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DE LA FRANCE SOUS CHARLES IX.

peu. Le prince de Condé voulait partager le gouvernement. Le cardinal de Lorraine, à la tête de sa maison, si étendue et si puissante, voulait retenir le premier crédit. Le connétable de Montmorency, ennemi des Lorrains, conservait son pouvoir et partageait la cour. Les Coligny et les autres chefs de parti se préparaient à résister à la maison de Lorraine. Chacun cherchait à dévorer une partie du gouvernement. Le clergé d’un côté, les pasteurs calvinistes de l’autre, criaient à la religion. Dieu était leur prétexte ; la fureur de dominer était leur dieu : et les peuples, enivrés de fanatisme, étaient les instruments et les victimes de l’ambition de tant de partis opposés.

(1567) Louis de Condé, qui avait voulu arracher le jeune François II des mains des Guises, à Amboise, veut encore avoir entre ses mains Charles IX, et l’enlever, dans Meaux, au connétable de Montmorency. Ce prince de Condé fit précisément la même guerre, les mêmes manœuvres, sur les mêmes prétextes, à la religion près, que fit depuis le grand Condé, du même nom de Louis, dans les guerres de la Fronde. Le prince et l’amiral donnent la bataille de Saint-Denis (1567) contre le connétable, qui y est blessé à mort, à l’âge de quatre-vingts ans ; homme intrépide à la cour comme dans les armées, plein de grandes vertus et de défauts, général malheureux, esprit austère, difficile, opiniâtre, mais honnête homme, et pensant avec grandeur. C’est lui qui répondit à son confesseur : « Pensez-vous que j’aie vécu quatre-vingts ans pour ne pas savoir mourir un quart d’heure ? » On porta son effigie en cire, comme celle des rois, à Notre-Dame, et les cours supérieures assistèrent à son service par ordre de la cour : honneur dont l’usage dépend, comme presque tout, de la volonté des rois et des circonstances des temps.

Cette bataille de Saint-Denis fut indécise, et la France n’en fut que plus malheureuse. L’amiral de Coligny, l’homme de son temps le plus fécond en ressources, fait venir du Palatinat près de dix mille Allemands, sans avoir de quoi les payer. On vit alors ce que peut le fanatisme fortifié de l’esprit de parti. L’armée de l’amiral se cotisa pour soudoyer l’armée palatine. Tout le royaume est ravagé. Ce n’est pas une guerre dans laquelle une puissance assemble ses forces contre une autre, et est victorieuse ou détruite : ce sont autant de guerres qu’il y a de villes ; ce sont les citoyens, les parents, acharnés partout les uns contre les autres ; le catholique, le protestant, l’indifférent, le prêtre, le bourgeois, n’est pas en sûreté dans son lit : on abandonne la culture des terres, ou on les laboure le sabre à la main. On fait encore une