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DE LA REINE MARIE STUART.

lier aux papes, si horrible, et si absurde, qui ulcéra le cœur d’Élisabeth. On voulait secourir Marie, et on la perdait. Les deux reines négociaient ensemble, mais l’une du haut du trône, et l’autre du fond d’une prison. Il ne paraît pas que Marie se conduisît avec la flexibilité qu’exigeait son malheur. L’Écosse pendant ce temps-là ruisselait de sang. Les catholiques et les protestants faisaient la guerre civile. L’ambassadeur de France et l’archevêque de Saint-André furent faits prisonniers, et l’archevêque pendu (1571) sur la déposition de son propre confesseur, qui jura que le prélat s’était accusé à lui d’être complice du meurtre du roi.

Le grand malheur de la reine Marie fut d’avoir des amis dans sa disgrâce. Le duc de Norfolk, catholique, voulut l’épouser, comptant sur une révolution et sur le droit de Marie à la succession d’Élisabeth. Il se forma dans Londres des partis en sa faveur, très-faibles à la vérité, mais qui pouvaient être fortifiés des forces d’Espagne et des intrigues de Rome. Il en coûta la tête au duc de Norfolk. Les pairs le condamnèrent à mort (1572) pour avoir demandé au roi d’Espagne et au pape des secours en faveur de Marie. Le sang du duc de Norfolk resserra les chaînes de cette princesse malheureuse. Une si longue infortune ne découragea point ses partisans à Londres, animés par les princes de Guise, par le saint-siége, par les jésuites, et surtout par les Espagnols.

Le grand projet était de délivrer Marie, et de mettre sur le trône d’Angleterre la religion catholique avec elle. On conspira contre Élisabeth. Philippe II préparait déjà son invasion (1586). La reine d’Angleterre alors, ayant fait mourir quatorze conjurés, fit juger Marie son égale, comme si elle avait été sa sujette (1586). Quarante-deux membres du parlement et cinq juges du royaume allèrent l’interroger dans sa prison à Fotheringay ; elle protesta, mais répondit. Jamais jugement ne fut plus incompétent, et jamais procédure ne fut plus irrégulière. On lui représenta de simples copies de ses lettres, et jamais les originaux. On fit valoir contre elle les témoignages de ses secrétaires, et on ne les lui confronta point. On prétendit la convaincre sur la déposition de trois conjurés qu’on avait fait mourir, et dont on aurait pu différer la mort pour les examiner avec elle. Enfin, quand on aurait procédé avec les formalités que l’équité exige pour le moindre des hommes, quand on aurait prouvé que Marie cherchait partout des secours et des vengeurs, on ne pouvait la déclarer criminelle. Élisabeth n’avait d’autre juridiction sur elle que celle du puissant sur le faible et sur le malheureux.

Enfin, après dix-huit ans de prison dans un pays qu’elle avait