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DES ANGLAIS SOUS ÉDOUARD VI ET MARIE.

Cette reine, née en 1533, fut déclarée au berceau héritière légitime du royaume d’Angleterre, et peu de temps après déclarée bâtarde, quand sa mère Anne Boulen passa du trône à l’échafaud. Son père, qui finit sa vie en 1547, mourut en tyran comme il avait vécu. De son lit de mort il ordonnait des supplices, mais toujours par l’organe des lois. Il fit condamner à mort le duc de Norfolk et son fils, sur ce seul prétexte que leur vaisselle était marquée aux armes d’Angleterre. Le père, à la vérité, obtint sa grâce ; mais le fils fut exécuté. Il faut avouer que si les Anglais passent pour faire peu de cas de la vie, leur gouvernement les a traités selon leur goût. Le règne du jeune Édouard VI, fils de Henri VIII et de Jeanne Seymour, ne fut pas exempt de ces sanglantes tragédies. Son oncle Thomas Seymour, amiral d’Angleterre, eut la tête tranchée parce qu’il s’était brouillé avec Édouard Seymour, son frère, duc de Somerset, protecteur du royaume ; et bientôt après le duc de Somerset lui-même périt de la même mort. Ce règne d’Édouard VI, qui ne fut que de cinq ans, fut un temps de sédition et de troubles pendant lequel la nation fut ou parut protestante. Il ne laissa la couronne ni à Marie ni à Élisabeth, ses sœurs, mais à Jeanne Gray, descendante de Henri VII, petite-fille de la veuve de Louis XII et de Brandon, simple gentilhomme, créé duc de Suffolk. Cette Jeanne Gray était femme d’un lord Guildford, et Guildford était fils du duc de Northumberland, tout-puissant sous Édouard VI. Le testament d’Édouard VI, en donnant le trône à Jeanne Gray, ne lui prépara qu’un échafaud : elle fut proclamée à Londres (1553) ; mais le parti et le droit de Marie, fille de Henri VIII et de Catherine d’Aragon, l’emportèrent, et la première chose que fit cette reine, après avoir signé son contrat de mariage avec Philippe, ce fut de faire condamner à mort sa rivale (1554), princesse de dix-sept ans, pleine de grâces et d’innocence, qui n’avait d’autre crime que d’être nommée dans le testament d’Édouard. En vain elle se dépouilla de cette dignité fatale, qu’elle ne garda que neuf jours ; elle fut conduite au supplice, ainsi que son mari, son père, et son beau-père. Ce fut la troisième reine en Angleterre, en moins de vingt années, qui mourut sur l’échafaud. La religion protestante, dans laquelle elle était née, fut la principale cause de sa mort. Les bourreaux, dans cette révolution, furent beaucoup plus employés que les soldats. Toutes ces cruautés s’exécutaient par actes du parlement. Il y a eu des temps sanguinaires chez tous les peuples ; mais chez le peuple anglais, plus de têtes illustres ont été portées sur l’échafaud que dans tout le reste de l’Europe ensemble. Ce fut le carac-