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CHAPITRE CLXVI.

Ce voile de zèle pour la religion catholique était encore le prétexte de la destruction de Genève, à laquelle il travaillait dans le même temps. Il fit marcher, dès l’an 1589, une armée aux ordres de Charles-Emmanuel, duc de Savoie, son gendre, pour réduire Genève et les pays circonvoisins ; mais des peuples pauvres, élevés au-dessus d’eux-mêmes par l’amour de la liberté, furent toujours l’écueil de ce riche et puissant monarque. Les Genevois, aidés des seuls cantons de Zurich et de Berne, et de trois cents soldats de Henri IV, se soutinrent contre les trésors du beau-père et contre les armes du gendre. Ces mêmes Genevois délivrèrent leur ville, en 1602, des mains de ce même duc de Savoie, qui l’avait surprise par escalade en pleine paix, et qui déjà la mettait au pillage. Ils eurent même la hardiesse de punir cette entreprise d’un souverain comme un brigandage, et de faire pendre treize officiers qualifiés, qui, n’ayant pu être conquérants, furent traités comme des voleurs de nuit.

Philippe, sans sortir de son cabinet, soutenait donc sans cesse la guerre à la fois dans les Pays-Bas contre le prince Maurice, dans presque toutes les provinces de France contre Henri IV, à Genève et dans la Suisse, et sur mer contre les Anglais et les Hollandais. Quel fut le fruit de toutes ces vastes entreprises qui tinrent si longtemps l’Europe en alarmes ? Henri IV, en allant à la messe, lui fit perdre la France en un quart d’heure. Les Anglais, aguerris sur mer par lui-même, et devenus aussi bons marins que les Espagnols, ravagèrent ses possessions en Amérique (1593). Le comte d’Essex brûla ses galions et sa ville de Cadix (1596). Enfin, après avoir encore désolé la France après qu’Amiens eut été pris par surprise, et repris par la valeur de Henri IV, Philippe fut obligé de conclure la paix de Vervins, et de reconnaître pour roi de France celui qu’il n’avait jamais nommé que le prince de Béarn.

Il faut observer surtout que dans cette paix il rendit à la France la ville de Calais (2 mai 1598), que l’archiduc Albert, gouverneur des Pays-Bas, avait prise pendant les malheurs de la France, et qu’on ne fit nulle mention des droits prétendus par Élisabeth dans le traité ; elle n’eut ni cette ville ni les huit cent mille écus qu’on lui devait par le traité de Cateau-Cambresis.

Le pouvoir de Philippe fut alors comme un grand fleuve rentré dans son lit, après avoir inondé au loin les campagnes. Philippe resta le premier potentat de l’Europe. Élisabeth, et surtout Henri IV, avaient une gloire plus personnelle ; mais Philippe conserva jusqu’au dernier moment ce grand ascendant que lui