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DU MOGOL.

tête du dragon, disaient les astronomes. Le dragon va dévorer le soleil, disait le peuple, et surtout le peuple astrologue. Nous insultons à la crédulité des Indiens, et nous ne songeons pas qu’il se vend en Europe, tous les ans, plus de trois cent mille exemplaires d’almanachs, remplis d’observations non moins fausses, et d’idées non moins absurdes. Il vaut autant dire que le soleil et la lune sont entre les griffes d’un dragon que d’imprimer tous les ans qu’on ne doit ni planter, ni semer, ni prendre médecine, ni se faire saigner, que certains jours de la lune. Il serait temps que dans un siècle comme le nôtre on daignât faire, à l’usage des cultivateurs, un calendrier utile, qui les instruisit et qui ne les trompât plus.

L’école des anciens gymnosophistes subsistait encore dans la grande ville de Bénarès, sur les rives du Gange. Les bramins y cultivaient la langue sacrée, qu’on appelle le hanscrit, qu’ils regardent comme la plus ancienne de tout l’Orient. Ils admettent des génies, comme les premiers Persans. Ils enseignent à leurs disciples que toutes les idoles ne sont faites que pour fixer l’attention des peuples, et ne sont que des emblèmes divers d’un seul Dieu ; mais ils cachent au peuple cette théologie sage qui ne leur produirait rien, et l’abandonnent à des erreurs qui leur sont utiles. Il semble que, dans les climats méridionaux, la chaleur du climat dispose plus les hommes à la superstition et à l’enthousiasme qu’ailleurs. On a vu souvent des Indiens dévots se précipiter à l’envi sous les roues du char qui portait l’idole Jaganat, et se faire briser les os par piété. La superstition populaire réunissait tous les contraires : on voyait, d’un côté, les prêtres de l’idole Jaganat amener tous les ans une fille à leur dieu pour être honorée du titre de son épouse, comme on en présentait une quelquefois en Égypte au dieu Anubis ; de l’autre côté, on conduisait au bûcher de jeunes veuves, qui se jetaient en chantant et en dansant dans les flammes sur les corps de leurs maris.

On raconte[1] qu’en 1642, un raya ayant été assassiné à la cour de Sha-Géan, treize femmes de ce raya accoururent incontinent, et se jetèrent toutes dans le bûcher de leur maître. Un missionnaire très-croyable assure qu’en 1710, quarante femmes du prince de Marava se précipitèrent dans un bûcher allumé sur le cadavre de ce prince. Il dit qu’en 1717, deux princes de ce pays étant morts, dix-sept femmes de l’un, et treize de l’autre, se dévouèrent

  1. Lettres curieuses et édifiantes. Tome XIII. (Note de Voltaire.)